La Chronique de Salon de Pierre Pelot : De l’importance de l’importance


Les auteurs de chroniques, dans les journaux et ailleurs, s’imaginent toujours que le sujet traité dans leurs lignes par leur plume, leurs mots, est d’importance. De toute première importance. Bien évidemment. Il ne manquerait plus que cela ne fût pas le cas. Logique : les auteurs de chroniques s’imaginent probablement eux-mêmes d’importance. Il faut en tenir une bonne couche, une bonne dose, pour balancer son avis ou son point de vue, sa conviction, ses considérations, à propos de ceci ou cela, alors qu’on ne vous a rien demandé. De quoi je me mêle, c’est vrai. 

Et je sais de quoi je cause.

 

Fort de cette certitude, je peux affirmer que tout tient dans ce que l’on considère mériter le feu des projecteurs. Voilà qui ne fait pas l’ombre d’un doute. Ce n’est pas plus bête que ça. En ce dimanche finissant, voyons donc ce qui eût pu être convié à la table de l’importance… Le pétage de plomb, une fois encore, du psychopathe religio-délirant de service, à Copenhague. Certes. Le cessez-le-feu Ukraine/pro-Russie qui semblerait vouloir cesser, mais a bien du mal à cesser quand même. Évidemment. La récupération, encore, d’encore quelques centaines de réfugiés naufragés en pleine mer. Sans aucun doute. Le dernier film (en date) de Clint Eastwood qui fait un malheur. No problemo. Ou encore et enfin, la médaille d’or des championnats du monde de slalom, c’est du ski, à JB Grange, en Amérique. Y a de quoi faire. Seulement voilà, ces événements sur lesquels on pose l’attention ont tout juste le privilège d’occuper le haut de l’affiche. On les y a hissés. Pendant ce temps, ailleurs, partout, et je dis bien partout, des tas d’autres faits n’ont pas moins d’importance pour leurs millions de témoins et/ou de leurs protagonistes. Seulement voilà (again) : pour ces tranches de vie-là, l’importance se trouve forcément réduite à circuler tant bien que mal dans un quasi-anonymat, pas même tout en bas du bas de l’affiche. 

Ce qui est fondamentalement inique.

Tenez pour exemple, moi qui vous parle…

Dans le panier fourre-tout contenant mon vécu du week-end, avant que je le vide à la poubelle, extrayons et considérons un instant ceci : ma chaudière à fuel.

 

Vous n’en savez rien, forcément (ne sont au courant que ceux et celles gravitant dans mon cercle), mais il y a un an, à mon retour pile d’une quinzaine passée à Nice en protonthérapie (mais ceci est une autre histoire) la chaudière au fuel claque. Parce que je dois préciser que mon installation de chauffage en cette région fraîche, est basée sur deux chaudières couplées, une au bois, et une au fuel. Donc, la « au fuel » rend l’âme, fuite d’un réservoir de la circulation d’eau, dans le fond, irréparable, non-resoudable. Trente-cinq ans de bons et loyaux services. C’est pas mal. Donc, ce jour-là, démontage de la décédée, qui a fini, la malheureuse, à la ferraille. Restait la chaudière à bois. (Dit-on « à bois », ou « au bois » ?) Qui fit son office tout l’hiver. Et toute seule comme une grande. Il me fallait donc une autre chaudière fuel. Hors de question d’en acquérir une neuve et pimpante, vus les tarifs dans lesquels évolue le genre. L’hiver passe. Le stock de bois baisse. Il y a peu, je sors de mon hibernation et me dis que peut-être il faudrait songer à la relève de la défunte Zeagel Held – c’était son nom. Me voilà donc voguant sur le net à la recherche de mon bonheur, d’un site à l’autre proposant des occasions de particuliers à particuliers – ce qui est tout de même une fameuse belle pratique et a au moins l’avantage de vous écarter des arnaques ordinaires et commerçantes professionnelles. Recherche enlevée. Trois occases possibles. Photos à l’appui, fiches techniques jointes, raisons données de la séparation… Je téléphone. Premier numéro sur répondeur et je laisse un message. Deuxième numéro, on répond. La chose est toujours en vente, disponible, à un prix ultra raisonnable. Ça peut s’enlever samedi. Il faut juste que le monsieur déneige, pour l’accès à sa cave… Et le samedi, chose dite chose faite, nous voilà partis un petit-cousin-filleul et moi, dans sa camionnette, chercher la bête. C’est à trois quarts d’heure de route. On trouve, sans problème. Le côté rigolo, dans notre rubrique « le monde est petit », c’est que le vendeur est connu de mon petit-cousin : ils ont travaillé ensemble il y a quelque temps dans une entreprise de bâtiment. Sympathique, le monsieur, et content. Et moi aussi. La chaudière s’appelle Nestor Martin.  

Donc voilà. Me revoilà avec une Nestor Martin flambante prête à flamber. Ne reste qu’à l’installer et la rebrancher.

Ce n’est pas un événement digne d’intérêt, peut-être ?

Je trouve que si.

 

Et puis un autre, pour exemple, dans un autre genre. Vendredi, sur mon répondeur, un message : « Bonsoir c’est Janine. Je voudrais vous annoncer le décès de Jacques. Il est mort le 29 janvier. » Et Janine a raccroché.

Sauf que je ne sais pas qui est Janine, ni Jacques. Que j’ai beau chercher et me tarauder le crâne… Je suppose que sans doute je pourrais rappeler la correspondante. Mais j’ai effacé le message, et puis je n’ose pas… Et je ne me vois pas : « Salut Janine, t’es qui ? Désolé pour Jacques. » Donc je me creuse. Je vais finir par oublier, allez… Quelque part la tristesse dans la voix de Janine s’éteindra, passera… Jacques, mort un 29 janvier, le restera à jamais.

Si ce n’est pas un événement, cela aussi. Alors…

 

Pierre Pelot

Peinture © Pierre Pelot

 

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1 commentaire

 C'est malin Pierre Pelot, alors que tout ce que vous évoquez au début de votre papier ne m'aurait pas absorbée plus de 2 minutes,  avec votre chronique de  l'événement minuscule Nestor Martin et Janine (ou Jeanine, hein, vous ne pouvez pas savoir.. ) me trottent dans la tête depuis hier : avez vous su brancher le premier et si oui, vous réchauffe-t-il comme  promis ? et puis enfin pourquoi Janine a-t-elle attendu trois semaines pour vous avertir de la mort de Jacques ?