La Chronique de Salon de Pierre Pelot : Hit-parade, en quelque sorte


« Le spectacle continue », c’est ce qu’on dit sur la scène, sur la piste, quand un drame a frappé et endeuillé les artistes en représentation. C’est un principe, une coutume du métier. Une habitude. Une tradition. C’est ainsi que cela se fait. Pour la profession, c’est la règle. La première, érigée à l’aune du courage dont il faut faire preuve pour la mettre en vigueur et la respecter.

Le spectacle, quoi qu’il advienne, continue. Et c’est donc admirable, digne de tous les respects. Quand il s’agit de spectacle. Quand il s’agit de spectacle et non pas de falsification, de n’importe quoi monté en spectacle. Très vite cela devient tout autre chose. Il s’en faut de très peu, d’une paille, d’un cheveu. Dans ce domaine de l’imposture, bigre de bigre, l’information fait rage. L’information télévisuelle et télévisée tout particulièrement. Mais c’est presque une obligation, à cause de l’image, s’entend. La radio doit suivre le même chemin, je suppose, mais je suis moins auditeur. Moins lecteur aussi. Je re-suppose donc… 

 

Ces temps passés, j’étais même moins spectateur.

J’avais la tête à d’autres préoccupations, ailleurs, j’étais en quelque sorte naufragé dans un grand silence aveugle et c’est ainsi que je me portais le mieux possible. Au fond de la mer. Et puis parce qu’il le faut bien, que c’est comme ça, je suis remonté un matin, un soir, je ne sais plus, un jour, une nuit, à la surface. Reprenant pied dans le moment et ses environs. Retrouvant donc, histoire de me refaire un équilibre à peu près correctement positionné dans le monde, la boîte aux images de l’information. Il me semblait que pour savoir quelque peu où on en est, et où en sont les autres, le reste de tout, ce qui fait quand même en gros ce que et qui vous êtes, l’information comptait primordialement. C’est de cette façon que cela fonctionne.

 

Alors, qu’est-ce que l’information ? On me dit, sur le web : L'information est un concept ayant plusieurs sens. Il est étroitement lié aux notions de contrainte, communication, contrôle, donnée, formulaire, instruction, connaissance, signification, perception et représentation.

J’en prends bonne note, pour relire ça à tête reposée, vu que sur le coup je n’y comprends rien. Non : ce n’est pas que je n’y comprenne rien, en fait, c’est que ça ne m’éclaire pas.

 

Après une autre tentative d’information sur l’information, je trouve ceci, que je comprends mieux :

– Action d'informer quelqu'un, un groupe, de le tenir au courant des événements : La presse est un moyen d'information.

– Indication, renseignement, précision que l'on donne ou que l'on obtient sur quelqu'un ou quelque chose : Manquer d'informations sur les causes d'un accident. (Abréviation familière : info.)

– Tout événement, tout fait, tout jugement porté à la connaissance d'un public plus ou moins large, sous forme d'images, de textes, de discours, de sons. (Abréviation familière : info.)

– Nouvelle communiquée par une agence de presse, un journal, la radio, la télévision. (Abréviation familière : info.)

 

Nous y voilà et nous y voyons mieux. En tout cas me. Et c’est donc bien ce que je voulais dire, et même ce que je pensais.

Me voici retombé, tel un homme à la mer, autrement dit noyé, dans le flot de l’info et de son spectacle. Car l’info ne se livre pas nue, l’info a besoin d’habits, de beaux atours, pour valoriser son rendu et en faire un spectacle recevable. L’info est un spectacle. L’info se vend sous cet emballage. C’est simple, c’est bête, mais c’est évident et c’est ainsi que ça fonctionne. Tout, absolument tout, se vend sous emballage, pour flatter l’œil et le goût, pousser à l’intérêt et au désir d’achat. Avez-vous déjà acheté des sardines à l’huile en vrac à la pelle ? Non. Ça s’achète hermétiquement confiné sous emballage de fer joliment décoré, si joliment qu’on peut même en faire collection, je sais de quoi je parle.

 

L’info télévisée nous est vendue comme un spectacle. Ce n’est malheureusement pas la meilleure inspiration qui soit. Le talent des auteurs n’est pas forcément monnaie courante. L’inspiration dans le choix, sinon dans l’essence, suit un mode d’emploi d’un classicisme confondant…

 

Depuis quelques semaines, il se trouve que ça y va fort dans le genre. On va passer sur la catastrophe Charlie poussée aux oubliettes avec ses dommages directs et collatéraux dans le sillage. Tenons-nous-en aux élections cantonales, détrônées quasiment sur la ligne d’arrivée par la catastrophe aérienne et alpine de l’Airbus A320 du vol Germanwings 4U9525, 150 morts, c’est autre chose que les combats à la noix dans les cantons entre FN et UMN’Importe Quoi et PS (dont le sigle aurait tendance à signifier Post-Scriptum plutôt qu’autre chose depuis un moment). Gnognotte que ces joutes cantonales. Nous en avons été informés à saturation, sur quelque chaîne télévisée d’infos où nous mettions les pieds (à l’exception heureuse de la Chaîne « Cuisine » et la Chaîne « Maisons » qui sont au moins, ces deux-là, de belle facture et bonne respiration). Overdose. Discours, déclarations des candidats, toujours les mêmes mots, les mêmes promesses idiotes qu’on reproche évidemment aux autres candidats, quand ce sont eux qui les font, dénigrements réciproques, insultes polies, flagorneries en tous genres, mensonges éhontés impudiques, c’est nous qu’on a gagné et qu’on est bien contents (tous), c’est eux qui ont perdus et qui sont des nuls (tous), la palme aux bavasseurs du FN, de la plus rôdée au sourire bloqué dans les dents à la plus jeune sotte à la blondeur familiale hargneuse hissée au grand pavois, en passant par le ricanant globuleux de service porteur de parole… Et ils l’ont cherché, d’ailleurs, mais nous en sommes tellement saturés, de ces parlottes et propos rassis, que nous nous en reportons aux images, aux apparences qu’on nous inflige, à notre corps défendant, plutôt qu’aux contenus serinés… Aux apparences des contenants… Force est de reconnaître, palsambleu, que ces sacrés candidats qui s’offrent, n’ont pas celles, d’apparences, du meilleur qui soit. Et encore moins de la meilleure. Désolé, mais oui, quand même, surtout les dames… et surtout le FN. Dont un critère retenu pour faire acte et peser d’importance, il semblerait, semblerait être précisément… le poids. Méchant ? Comment ça, méchant ? Ils se gênent, eux, dans leurs discours dents dehors, pour faire ce qu’il pensent être de l’esprit (cf. Sarko, ancien-président-qui-remonte-sur-le-ring, qu’on dirait diplômé de l’école café théâtre Bigard/Clavier) critique, et n’est pas mieux que lourdement potache – applaudi par toute la classe de vieux redoublants et de mémés aux permanentes bleues… Triste spectacle. Mauvais spectacle. Cent fois vu, cent fois entendu. Exploitant les vieilles et râpeuses ficelles effilochés, les recettes éculées enculeuses pour danser en rond, la capucine, et autres rengaines…

 

Élections, représentation en deux parties, la seconde éclipsée momentanément par une éclipse, une vraie, et puis par un spectacle-surprise imprévu, dramatique en diable. L’info en elle-même est terrible. Pas la peine de le dire cent fois. On le sait, on le sent. Et alors c’est une bonne matière à spectacle, et on y va hardiment, on s’y projette et on s’y roule. Interview non pas des auteurs ni des acteurs, n’y en a plus, mais des commentateurs. Des critiques en somme. Qui n’ont à dire que quatre phrases, c’est à peu près tout ce qu’il est possible de produire décemment, et comme c’est peu, on le leur fait redire et répéter dix fois, donnant de ce fait l’impression de ne pas écouter ce qu’ils disent : témoin ce présentateur de journal télévisé qui s’obstine à appeler « décrochage » la chute de l’avion après qu’on lui a bien fait remarquer, plusieurs fois, que « non monsieur comme je vous l’ai dit ce n’est pas un décrochage »… Par exemple. On n’a rien à dire, alors on ressasse et rejoue et répète, on n’a rien à montrer, qu’à cela ne tienne, on montre quand même et on re-montre et re-montre en boucle… il faut faire de l’antenne, coco.

 

Spectacle forcé de l’info télé-imagée. Journaux-éditions-spéciales de quatre plombes ou d’une journée non-stop et en direct, of course. Blockbusters de l’info. Oui mais encore ne faut-il pas se borner aux moyens structurels du film.

Encore fait-il un brin de talent, un brin de scénario, si on veut prendre ce chemin. Ne pas croire que les effets spéciaux spectaculaires suffisent au spectacle.

Alors, basta, quitter la salle. Changer de programme et de plateau. Sur la chaîne Cuisine, mes amis, le « Top 15 des Spécialités irlandaises », dont la Guiness pie et le Sherpherd’s pie. Une tuerie.

 

Pierre Pelot

Peinture © Pierre Pelot

 

> Retrouvez d'autres textes de Pierre Pelot sur son site internet, La tanière.

 

1 commentaire

Pas mal.