La Chronique de Salon de Pierre Pelot : Le Père Noël passe-t-il aussi par les tuyaux des vieux fourneaux ?


Cher Monsieur Noël,


Je sais bien que tout le monde vous appelle « Père Noël » et que c’est entré dans les mœurs, comme qui dirait une tradition, seulement moi les traditions ça ne me fait pas danser, et d’un, et de deux il y en a quand même un bon pourcentage à jeter, des traditions, toutes plus cu-culs les unes que les autres, ou douteuses – quand quelque chose est très tarte et qu’on veut quand même s’y adonner, toute honte bue, on dit « oui mais c’est une tradition » et toute honte bue on y va allégrement* –, et de trois je ne trouve pas ça très poli, plutôt familier un rien vulgaire, « Père Noël », un rien chenapan, c’est pareil pour la Mère Michel, la Mère Denis, toutes les Mères Machines, les Pères ceci et cela, ah tiens voilà le Père Gaspard, il est encore bourré… genre.

Donc, non. Monsieur Noël. Et ça n’écorche pas la gueule.

 

Cher Monsieur Noël, je disais.

En voilà donc encore une de passée. Ou presque. Je vous écris pour ne pas être en retard, comme l’année dernière, qu’à force de repousser et de me dire que j’avais bien le temps, je l’ai plus eu. Gros malin. Ça n’a pas été une année terrible, l’un dans l’autre, et lycée de Versailles, une année moche, plutôt, avec son lot d’enguirlandages politiques qu’on voit à la télé, toujours les mêmes tronches de râleurs, les mêmes professionnels du même spectacle. Des catastrophes aussi, cette année, et des attentats. Ah la vache. Les attentats c’est pas de la rigolade, il ne faut pas rigoler avec ça, c’est une honte, on ne rigole pas avec la honte. C’est le règne de la connerie. Les cons avancent masqués, jusqu’au jour où ils se démasquent en criant fièrement leur cri de guerre allahu akbar et en devenant des martyrs au paradis et des bouts de barbaque diffractés sur terre, ainsi va la vie des cons. Et des connes, parce que la femelle du genre n’est pas la dernière.

Il y a eu tout cela. Et d’autres choses.  Mais en général du terne, de la grisaille, je trouve. Ou alors c’est moi.

 

Pour ma part, Monsieur Noël, j’ai été gentil. Je pense. C’est pour cela que je vous écris. Parce que j’ai été gentil, alors pour avoir des cadeaux par milliers.

Des preuves que j’ai été gentil ? Oh…  J’ai fait de mal à personne, je ne me suis pas explosé autrement que de rire, et c’était même pas à une terrasse d’un café. Je ne vais plus sur les terrasses de café. Rarement dans les cafés. Et puis je ne vais plus nulle part. C’est simple. Ou si j’y vais, c’est le moins souvent possible. Et puis je me suis rendu compte que c’était pas la meilleure idée qui soit, d’aller nulle part. On ne sait pas ce que ça cache, nulle part. On a bien du mal, des fois, à savoir exactement où c’est. D’ailleurs on ne sait pas.

Mais j’ai été gentil. Je n’ai insulté personne en particulier, même quand ce n’était pas l’envie qui m’en manquait. J’ai fait très peu de grimaces. Je n’ai pas poussé de vieillard dans les escaliers, même quand l’envie… non, je blague. J’ai bien mangé ma soupe. J’ai pris mes médicaments. C’est peut-être parce que je ne suis pas au mieux de ma condition physique que j’ai été gentil ? Vous croyez ? C’est bien possible.

Bref.

 

Je crois donc que comme je disais j’ai mérité quelques cadeaux, pour me remercier. Alors voici, voilà, si vous pouviez prendre note, je voudrais : 

Un gros marteau, un bon gros, parce que j’ai cassé le manche de celui que j’avais, un marteau qui me venait de mon père. Mon père était menuisier.

Un marteau parce que c’est important les outils, et les bons, quand on veut travailler. En ce moment, c’est à dire une bonne partie de cette année pourrie j’ai refait une pièce à vivre, de fond en combles, sol au plafond. C’est pas de la tarte, quand on n’a pas les bons outils.

Alors du coup il me faudrait aussi des serre-joints. Un jeu. Des moyens et des grands. Plusieurs jeux, alors.

Des vis torx. Parce que c’est rudement mieux que les têtes cruciformes, ça ne foire jamais les torx. Toutes tailles, les vis.

Un outil multi fonctions, de préférence sur batterie.

Une scie sabre (de préférence sur batterie aussi )

Une disqueuse, pas une trop grosse.

C’est tout, je ne voudrais pas exagérer.

 

Et puis aussi le tome 3 des Vieux Fourneaux, celui qui part chez Dargaud.

Parce que, ah oui, ah oui, cette année, il y a quand même eu une sacrée date, une date mémorable : le vendredi 13 novembre 2015.  Souvenez vous en. Pour deux raisons majeures. La première : c’était mon anniversaire, le soixante-dixième. La seconde raison : la sortie en librairie du tome 3 des Vieux Fourneaux. Celui qui part. Parce que ça, dans le domaine de la bande dessinée, c’est du majestueux.

 

Aparté : Les Vieux Fourneaux, tome 3 : Celui qui part. Où nous retrouvons nos vieux garnements dans les (avant) derniers jours de leur existence, qu’ils vivent à la va comme je te vas, chaque jour en un très ordinaire baroud d’honneur. Trois pistolets fripés de la pomme, cagneux, tordus, tousseurs et râleurs, mais dans leur tête ça n’a pas pris une ride, au contraire. Ils ont biberonné aux années 68, le cru nourrit son homme pour longtemps, ça leur a fait un bien fou. Il faut en avoir dans le sang, pour, à cet âge pas canonique mais presque, se déguiser en abeille avec d’autres camarades du même tonneau, de la même ruche, même une reine ! et dans tel accoutrement apinaeique se taper une manif contre le lobby des vendeurs de mort pesticidée… se faire embarquer séance tenante par les flics, of course, mais ne pas cesser pour autant la résistance, dans les rangs de l’ennemi. Ça c’est Pierrot. Plus au sud, en campagne, c’est le déluge, les débordements, les trombes qui s’abattent sur Mimile et Antoine, lesquels font de leur mieux pour que la maisonnette de Sophie, petite-fille de ce dernier, ne coule pas corps et bien, percée de partout et surtout de la toiture. Et le troupeau de brebis de Berthe aurait tendance à se noyer, si on n’y prenait garde. Mais qui peut prendre garde à Berthe, qu’on déteste de conserve depuis des siècles, ou presque. Depuis 1955 exactement. Ce qui fait un bail. Tout le monde sauf Sophie, précisément qui s’obstine depuis toujours et pour une bien mystérieuse raison à se pourvoir en œufs auprès de la harpie – de ses poules plus exactement. Mystévieuxrieusement ? En temps voulu, la vérité éclatera…  mais avant de savoir, Mimile l’écopeur de déluge se retrouve aux urgences pour cause de malaise, lui aussi  mystérieux.  Et c’est pas tout. Car dans les jours qui suivront, une sorte de cinglé d’un autre âge, encore un, débarque sous ces horizons, venu d’autres, un anglophone aux allures de pirate déboussolé, dans tous les sens du terme, et pas mal cabossé, physiquement comme mentalement. Arpentant tous azimuts les entours, en clamant à qui veut entendre un étrange « Arbignac le biouche ! » Allez comprendre.

Cette tranche de vie de vieux dépotés (car c’est dans les vieux pots…) passera non pas par la case départ, mais pas loin : la jeunesse fringante de ce trio, et d’autres, avant qu’ils soient fourneaux… et celle de Berthe, pardi. Pour dénouer le flot de l’emballage cadeau de ces énigmes, ces miracles, ces prodiges, qui planent une vie durant sur certains pour qui le destin n’est pas de la rigolade. Ou plutôt si. Entre les quintes.

Avec pour conter la chose, non seulement le montage narratif rudement bien taillé, mais le trait incisif et de parfaite santé du préposé à l’image. C’est un régal.

Fin de l’aparté.

 

Et puis aussi, Monsieur Noël, j’allais oublier : Le Grand Méchant Renard, de Benjamin Renner, dans la collection Shampooing, chez Delcourt. C’est plein de dessins malins, plein de pages, avec dedans un renard qui se casse le cul à être méchant, un cochon jardinier, un chien paresseux, des poules cinglées dont une, la chef, pire que les autres…  Comme il n’est pas cap de piquer le moindre volatil, notre couillon de renard élabore une nouvelle stratégie, ou stratégie nouvelle : il chourre des œufs… qu’il va couver. Afin de pouvoir boulotter les poussins. C’est sans doute pas bête, sur le long terme, mais… sauf que ça ne se passe pas comme ça. Chacun sait que les oiseaux, en tout cas les poussins, adoptent pour mère la première personne qu’ils voient à l’éclosion. Quand nous disons « chacun sait », le renard, pas.

Un dessin animé en un paquet de pages gros comme ça. Merci Benjamin.

 

Voilà. Eh bien c’était sympa, Monsieur Noël, de m’écouter et me lire jusqu’ici. J’espère que vous avez tout noté.

Pour ma part, je vous la souhaite bonne.

 

Pierre Pelot

 

* Qu’est-ce qu’il devient, Claude Allègre ? Dîtes-moi. Je ne suis au courant de rien. On ne l’entend plus sur les ondes et sur les écrans nous dire que le réchauffement climatique n’existe pas.

 

Wilfrid Luparo, Paul Cauuet, Les Vieux fourneaux. 3. Celui qui part, Dargaud, novembre 2015, 64 pages, 11,99 €

 

Benjamin Renner, Le Grand Méchant Renard, Delcourt, janvier 2015, Col. « Shampooing », 192 pages, 16,95 € 

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