Frédéric Berthet, Paris-Berry et Felicidad : Le charme de l'éphémère

La Table Ronde réédite Frédéric Berthet. Heureuse initiative. C'est un écrivain quasiment oublié. Qui se souvient qu'il obtint, en 1988, le Prix Roger Nimier, pour son roman Daimler s'en va, publié chez Gallimard ? Méconnu, mais attachant. Peu prolixe, du moins pour ce qui est du genre romanesque, mais auteur d'écrits divers, publiés en 2006 par Gallimard sous le titre Journal de Trêve, et de Correspondances (La Table Ronde, 2011), couvrant la période 1973-2003. Soit l'année même de sa mort, à moins de cinquante ans.

 

Il excelle dans le texte court. L'esquisse. Fait merveille dans l'allusif. Son Paris-Berry est composé de notations que relie un fil conducteur des plus ténus. Ou, plutôt, un prétexte : le narrateur, écrivain parisien qui lui ressemble comme un frère, s'est installé à la campagne, dans la maison prêtée par une amie. Pour écrire un roman dont tout le détourne, à commencer par des questions de pure technique narrative. Mais "qui ignore encore que les problèmes techniques sont des drames existentiels ?"

 

Tout lui est bon pour contourner l'obstacle. Ses souvenirs et les menus évènements de la vie quotidienne. La venue d'une jeune Anglaise descendant dans le midi, débarquant chez lui à l'improviste ("C'est comme ça : il existe des gens qui sillonnent la France, à toute époque de l'année, avec éternellement un rosier, du bordeaux et des fraises. Toujours jeunes, héritières"), ou des rêves peuplés d'écrivains, Michel Déon ou Roland Barthes. Sans compter l'évocation d'une virée sur le boulevard Saint-Germain avec deux copains surnommés, allez savoir pourquoi, Pouchkine et Brasillach.

 

Une manière d'exorciser l'angoisse de la page blanche : noircir celle-ci de riens et de n'importe quoi. La méthode, en ce qui concerne notre auteur, a du bon. Ses textes, surprenants, cocasses ou attendrissants, révèlent un écrivain de race. Sa prose, caracolante, évoque celle d'Alexandre Vialatte. Par l'humour, sous-jacent. Par l'utilisation de faits divers, dans tous les sens des termes. Par la poésie qui sourd, imperceptible, de ces minuscules événements. Comme l'éclosion de milliards d'éphémères, une nuit de mai, tempête de neige dans la lumière des phares d'une voiture.

 

Felicidad procède de la même veine. C'est un recueil de nouvelles où trouve place, du reste, le narrateur de Paris-Berry, de retour à Paris après un séjour campagnard. Avec, en tête, l'idée d'un roman dont il n'a pas écrit la moindre ligne.

 

Ailleurs, un autre écrivain, Victor Trimbert, sentant avec angoisse l'inspiration l'abandonner, éprouve l'impérieuse nécessité de la solitude et pense se trouver en affrontant la montagne enneigée. On voit par là la prégnance d'un thème décliné en plusieurs variations et qui laisse deviner, mais transposée, la part de l'autobiographie.

 

Quant à Felicidad, qui donne son titre au recueil, c'est une jeune femme, cover-girl de son état. Belle et inconstante, aussi séduisante qu'imprévisible. Excentrique, capricieuse, comme il se doit. Plus éprise de sa liberté que de n'importe lequel de ses amants. Lointaine cousine de l'héroïne de Pierre Louÿs, dans La Femme et le Pantin.

 

L'archétype de la Femme ? Peut-être. Par bonheur, Berthet n'en dit rien, se garde même de le suggérer. C'est sans doute qu'il se défie des idées générales et des métaphores, toujours plus ou moins hasardeuses. Il a raison. Il fait son miel de ses propres souvenirs, de ses observations. Son domaine relève de l'éphémère. En quoi il se révèle particulièrement attachant.

 

Jacques Aboucaya

 

Frédéric Berthet, Paris-Berry, Editions de la Table Ronde, coll. "la petite vermillon", janvier 2013, 110 pages, 5,90 €. Felicidad, ibid., janvier 2013, 170 pages, 7,10 €  

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.