La chronique d'Emmanuelle de Boysson

Prix L’Île aux livres/La Petite Cour : Monsieur Loriot, de Clélia Anfray


La vie littéraire, chronique d’Emmanuelle de Boysson |


Entouré de sa famille, enfants, petits enfants, Raymond Loriot, retraité de la SNCF, aux "faux airs de Charles Trenet", vit avec son épouse à Châteauroux. Il bricole, range ses lettres et ses papiers dans de petites enveloppes blanches. Les années 80 : Chirac, Dallas, le Concorde, Châteauroux, la Toyota Celica modèle 76, l’Amérique… comme si nous y étions. Monsieur Loriot a ses petites manies : il n’aime pas les navets, ni Châteauroux ni les mauvaises manières ni les Noirs ni sa femme. Il tient au gigot dominical. Parmi ses petites filles, Jeannette, Anny, Lucy, sa chouchoute. Dans sa jeunesse, il est tombé amoureux d’une femme qui vit en Amérique. Un jour, il décide de la rejoindre, plaque tout, fugue, la retrouve, se perd… Clélia Anfray a l’art de faire revivre une époque, de croquer la bourgeoisie de province. Ce portrait truculent d’un franchouillard, raciste, fasciné par l’Amérique a quelque chose de balzacien. Au fil des pages, la romancière rend monsieur Loriot plus sympathique, plus mystérieux qu’il n’en a l’air, explorant la face cachée d’un homme, ses petits tas de secrets, ses désillusions. Un roman maîtrisé et talentueux.

 

Parmi les prix les mieux dotés, le prix de la fondation Del Duca, 200 000 euros, a été décerné à Andreï Makine pour l’ensemble de son œuvre. L’écrivain franco-russe obtient aussi le prix Erwan-Bergot offrant le montant aux soldats blessés de l’armée de terre. Quant au prix Duménil, attribué à Pascal Bruckner, il est de 35 000 euros ! Si les prix sont souvent honorifiques, ils servent à arrondir les fins de mois des écrivains qui prétendent manquer d’argent mais qui ne sont pas les plus mal lotis. Leur vocation première devrait être de mettre en lumière un écrivain pas encore connu, comme vient de le faire le jury du prix L’Île aux livres/La Petite Cour. Composé de Patrick Poivre d'Arvor, Madeleine Chapsal, Emmanuelle de Boysson, Mazarine Pingeot, Baptiste Liger, Mohammed Aïssaoui, Elisabeth Chavelet, Pierre Vavasseur, France Cavalié, Marie-Madeleine Rigopoulos, Karine Papillaud, Claire Julliard, Arthur Dreyfus, Joschi Guitton et Stéphane Guillot (organisateurs du salon), il a voulu faire « une séance de rattrapage » et couronner un roman dont les qualités littéraires n’ont pas été assez remarquées. Il a donc été attribué à Clélia Anfray pour Monsieur Loriot (Gallimard) par 8 voix contre 4 voix à Nous sommes tous morts, de Salomon de Izarra, excellent roman paru chez Rivages et 2 voix à Théorie de la Vilaine petite fille, d’Hubert Haddad paru chez Zulma. Il sera remis au salon L’Île aux livres de l’île de Ré les 8 et 9 août.

 

Emmanuelle de Boysson

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