Romancier, nouvelliste et dramaturge né en 1972, Laurent Gaudé publie son œuvre, souvent primée et traduite dans le monde entier, chez Actes Sud
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"Ouragan" de Laurent Gaudé : douleur et renaissance

Que sont quelques hommes face à la nature déchaînée et, pour tout dire, une nature qui se déploie comme pour se débarrasser définitivement des hommes ? Si le thème est une antienne de la littérature depuis quelques années, catastrophisme et fin du monde par l'abus d'industries faisant recette, Laurent Gaudé s'en empare avec le talent de conteur qu'on lui connaît pour replacer l'homme dans sa fragilité. Au centre de l'Ouragan qui va dévaster la Nouvelle-Orléans, quelques destins...

« Le ciel craque et se vide sur nos têtes. »

Nous suivons donc les destins avant, pendant, après l'ouragan de Josephine Linc. Steelson (une vieille négresse porteuse de la mémoire et de la fierté de son peuple), de Keanu Burns (qui vient d'abandonner son poste sur une plateforme pétrolière pour retrouver sa vie et revoir celle qu'il aime et n'aurait pas dû quitter), de Rose Peckerbye  (celle-là-même que Keanu vient retrouver et qui est comme morte au monde depuis six ans qu'il est parti), un révérend qui cherche à confronter sa lâcheté et ses peurs à la Voix qu'il entend et à son Dieu qui le met à l'épreuve, et de Buckeley, prisonnier à la Orleans Parish Prison. Chacun est figé dans son destin et, sans autre moyen que la mise en souffrance de leur propre humanité, chacun va devoir puiser au fond de lui-même pour survivre. Chacun va suivre son propre chemin et établir un moyen de survivre humainement dans l'immensité de ce qui le dépasse. Et chacun va interagir avec les autres, comme si l'humanité ne pouvait se départir des liens qui unit les uns et les autres, chacun étant le bourreau de l'autre, à la mode sartrienne. Ironie, c'est en voulant faire le bien que le mal est atteint, et de ce mal et de la douleur va naître un bien plus grand encore, comme une renaissance par la souffrance et l'abandon des anciens repères (1).

« La fureur a tout arraché, une ville entière couchée à terre, déchirée. […] Il n'y a plus rien que les traces du déchaînement. Tout est cassé et laid. »

Paradoxe, c'est quand le monde semble effacé que les possibles d'une vie nouvelle s'ouvrent. C'est notamment dans ce contexte de fin du monde que le couple de malheureux, Keanu Burns  et Rose Peckerbye, va pouvoir se reconstruire, poser comme un fait du monde d'avant les trahisons et les abandons et former une sorte de couple édénique, dont l'enfant sera le lien entre tous les personnages et offrira un espoir pour l'avenir, car de l'amour retrouvé de ses parents il puisera une force nouvelle, la force de vivre et de porter le monde. 

« Des nègres sans rien, qui lèvent les yeux au ciel pour implorer la pitié, c'est toujours ainsi que souffre le monde »

Ce qui gène, dans cette belle histoire d'hommes et de femmes confrontés à l'immensité d'une nature qui ne veut plus d'eux et qui les force à se regarder en face, au fond de leur humanité c'est le manichéisme un peu lourd qui oppose les pauvres noirs abandonnés de tous et les blancs, comme une vérité essentielle derrière laquelle Laurent Gaudé se cache : le blanc est le mal, le nègre est la victime. D'ailleurs, quand les blancs (riches) viennent au secours des noirs (pauvres), ce n'est pas un geste de qualité : « Nous voient-ils vraiment ? Ou ne voient-ils que le reflet de leur bonne volonté ?... » Et le seul des personnages principaux dont on suive le parcours et qui soit blanc — le révérend — sombre dans la folie et brise la vie des autres, et les autres, tous les autres, sont sauvés (même les morts, mêmes leurs survivants) par la grâce d'une rédemption offerte par la nature à leur négritude. Le révérend, d'ailleurs, est une fonction et pas un homme, car quasiment jamais on ne donne son nom alors que tous les autres son nommés souvent. Le procédé est un peu lourd et, à force de redites, nuit à l'équilibre du récit, sauf à considérer Gaudé comme un propagandiste néo-césairien. Cette thématique, disons ce positionnement politique, de Laurent Gaudé se signalait déjà dans plusieurs de ses romans, notamment Eldorado, mais jamais avec aussi peu de finesse, comme cette métaphore filée du nègre = chien qui pèse sur la lecture et finit par agacer.

Laurent Gaudé sait faire vivre ses personnages, nous les rendre attachant. Il sait mêler les destins comme un Claude Lelouch et donner aux petits faits valeur de légende. Mis à part la réserve de positionnement politique, et son traitement qui manque de finesse, Ouragan est un bon Gaudé, pas son meilleur (Le Soleil des Scorta reste inégalé), mais un récit qui emporte tout de même le lecteur à suivre les destins fracassés de petites vies confrontées au monde devenu monstre. Et c'est par cette deshumanisation absolue qu'il leur rend leur figure humaine, son talent étant justement de composer avec les impossibles pour en extraire un tableau où la fureur engendre, simplement, mais magnifiquement, l'humain.

Loïc Di Stefano


Laurent Gaudé, Ouragan, Actes sud, août 2010, 189 pages, 18 euros

(1) Laurent Gaudé utilise un procédé d'écriture assez malin et bien maîtrisé, comme un fondu enchaîné au cinéma, qui consite à finir la phrase d'un personnage par celle d'un autre, comme si la réalité dépassait l'individu.

1 commentaire

Ouragan vient de sortir en édition de poche, c'est l'occasion de relire ce très beau roman polyphonique


Actes sud, "Babel", août 2012, 7 euros