Christine Van Acker : Ici, chroniques savoureuses d’une néo-rurale

Peut-on s’emmerder à la campagne ? Surtout quand a fait le choix de s’y retirer et changer de vie ? Christine van Acker, citadine, vient de poser ses valises dans le “trou du cul du monde”, tout au bas de la carte de la Belgique, un village ordinaire et comme les autres sauf qu’il est Ici et pas ailleurs. Les enfants descendent à vélo la côte de la mort qui tue, Galuchet brûle les portes de sa maison un soir d’éthylisme, les vieux vont à la messe chercher, dans les épaisseurs de l’invisible, l’écoute qui leur fait défaut ; les chiens tirent sur la laisse en attendant la chasse, Kevin sera fonctionnaire bientôt et partira là-bas chercher le travail qui n’a de cesse de s’enfuir toujours plus loin de nos villages, tels les aurochs ou les bisons de nos ancêtres nomades.   

 

En attendant le travail et les manifestations plurielles de l’ennui, notre chroniqueuse inventorie, avec un humour baigné de poésie, les manières d’y échapper en “reprenant les chemins d’Ici” – à la façon de Rimbaud –, en usant les petits riens qui font l’ordinaire des jours. Il suffit de s’ennuyer parfaitement, de regarder les touristes passer, de faire son bois, d’acheter ses vêtements en ligne, de vivre au rythme des cloches, de contempler, si besoin, son horloge un jour de pluie. Le plaisir supérieur est d’accueillir les citadins venus du Nord et d’ailleurs, qui vous demandent si vous vous plaisez bien Ici ? Comment s’ensauvager, s’acclimater à ce coin paumé loin de tout, des soins d’urgence et des manifestations de la culture ? Peut-on s’emmerder à la campagne ? Oui, répond la transplantée, qui cueille les salades encore vivantes de son jardin comme un carnet à spirales où les mots justes font mouche. Etre sur le banc de touche un moment, ne plus jouer, attendre que le matin, l’après-midi et le soir se succèdent pareillement chaque jour, aller se coucher dans l’espoir que ça s’arrête, qu’un rêve donne encore l’illusion d’être en vie ?

 

Vivre à la campagne aujourd’hui, c’est sans doute accepter le silence et le regard des autres, loin du stress des villes tentaculaires, mais proche de soi, du tic tac des saisons retrouvées. A la campagne tout prend du temps, cette grosse bouchée qui ne veut pas passer, même le beau temps à venir après l’hiver, où la solitude se prend à bras-le-corps, se presse contre notre poitrine. Peu importe, si l’on a fait le choix de vivre Ici, loin de là-bas, de l’autre côté de la civilisation. Jean Tardieu, cité à la rescousse, nous rappelle qu’Il n’y a aucun lieu ici ni ailleurs. Ici n’existe pas. Ailleurs n’est pas. Alors que faire en attendant ? Se réjouir d’avoir fait son nid quelque part au bout du monde, Ici, pour se sentir moins éloigné de soi-même : C’est Ici qu’il faudra que nous passions. Le chemin nous paraîtra moins long et l’éternité moins inutile.         

 

Frédéric Chef

 

Christine Van Acker, Ici, Le Dilettante, mai 2014, 160 pages, 15 €

2 commentaires

Merci Frédéric, pour cette très belle et pertinente lecture. 

oui, cette chronique me donne bien envie de le lire..