Amour perdu de William Cliff : La solitude immense de notre existence

Immense existence ! William Cliff célèbre celle-ci depuis des lustres, dans des poèmes de formes fixes – ballades, sonnets et autres dizains –, qui « racontent » en vers réguliers une vie que les bien-pensants qualifieront d’irrégulière. Le poète a fait vœu de réalisme : narrant par le menu ses voyages au long cours du désir, ses aventures avec les hommes, il exalte leur beauté passagère, la volupté du regret et la perpétuité des plaisirs rêvés ou assouvis.

 

Amour perdu – pas de féminin pluriel ! – enregistre les plaisirs consommés à Philadelphie, Viña del Mar, Louvain, dans le train Metz-Nancy, au fond des cinémas interlopes de Manhattan, au bord du lit défait de n’importe quel coin paumé où le cafard vous étreint : car dans la vie on aime que nous happent / certaines choses un peu dégoûtantes /qui font sortir de l’ennui ordinaire. L’aventurier, certaine fois, croise dans le regard d’un passant de Buenos Aires le regret éternel d’une occasion manquée – une vie antérieure ? – d’illuminer sa vie. Que lui reste-t-il, chercher son corps dans ses millions de frères. Collection d’épiphanies et de moments d’ivresse, ce reliquaire versifié rappelle, à qui l’aurait oublié, que l’amour règne au milieu de toute vie mortelle / et lui fait croire qu’elle aura toujours l’amour. William Cliff sait qu’il y a urgence de vivre pour savourer la fruitation, la savouration et les autres gluances qui ravivent la part de chair des hommes.

 

Nous sommes promis au délabrement et au dépenaillé de la chair. Qu’il nous soit permis – alors que notre vieux vaisseau fait eau de toute part – que nous mélangions nos misères. Autour de nous, la fureur et l’horreur glacée menacent : De plus en plus il faut du bruit pour oublier / la solitude immense de notre existence. Eternel adolescent en proie aux beautés du corps, William Cliff veut s’assurer avoir bel et bien désiré, aimé, vécu. Tout passe, il n’y a plus que l’or du rêve qui nous reste. Le poète, étranglé entre deux infinis, achève cette confession sans miséricorde, qui rappelle Rutebeuf et Villon – par delà les siècles d’éternité poétique. Il nous faut, dit-il :

 

Lutter contre les venues pernicieuses,

les saletés qui nous rongent, qui creusent […]

à moins tout simplement qu’on reste là

(devant l’ETRE) complètement béat.

 

Frédéric Chef

 

William Cliff, Amour perdu, Le Dilettante, mai 2015, 128 pages, 13 €

1 commentaire

Oui, c'est un  fort beau texte doux amer à l'allure vagabonde, et toujours son désir d'amour masculin en quête d'un frère, de l'enfance perdue... (Décidément, ne cherche-t-on toujours le cocon filial..)  les vers et la prose dans un balancement autiste, douce obsession des amours qui happent et qui rejettent, laissent échoué William Cliff, la mémoire saturée de ces étreintes furtives. C'est rudement beau ces épousailles des mots, du rythme et des corps  humides qui  glissent, s'emboitent....