Casanave et Vandermeulen : Chamisso, l’homme qui a perdu son ombre

Après avoir conté en bandes dessinées le destin de Percy et Mary Shelley, Casanave – au dessin nerveux et précis –, Vandermeulen – au scénario intrépide et audacieux –, reviennent sur le destin d’Adelbert von Chamisso. Né en 1791 quelque part en Champagne –  château de Boncourt –, il connaît avec sa famille le destin des émigrés : la particule se germanise à Berlin. Le jeune romantique est tiraillé entre les souvenirs du berceau familial qu’il ne reverra qu’en ruines et le destin de ses amours contrariées. Il fréquente les salons et se frotte aux grandes figures du romantisme : Schiller, Goethe, Mendelsohn et Germaine de Staël, mangeuse d’hommes, qui sera sa confidente : Je suis Français en Allemagne et allemand en France, catholique chez les protestants, philosophe chez les gens religieux et cagot chez les gens sans préjugés : homme du monde chez les savants, et pédant dans le monde [...] Je ne suis nulle part de mise, je suis partout étranger [...]      

 

Chamisso est persuadé peu à peu d’être un Schlemihl : un pauvre malheureux qui n’a jamais de chance mais auquel vous ajouteriez une dimension propre au juif errant. Apatride, il ne sait trouver sa place parmi les “siens”. Passionné de botanique, il commence à écrire en 1813, se dédouble en créant le personnage du guignard mélancolique. Chamisso réactualise le mythe de Faust en écrivant L'étrange histoire de Peter Schlemihl : le Diable propose à Peter la bourse de Fortunatus – la richesse illimitée – contre son ombre. Le pacte conclu, le malheur ne cesse de fondre sur le signataire. Casanave et Vandermeulen imaginent astucieusement que ce pacte a été signé par Chamisso lui-même, accréditant la thèse du dédoublement de personnalité. Thème romantique s’il en est. Bien connu de nos voisins d’outre-Rhin, ces aventures de Schlemihl peinent à trouver leurs lecteurs de ce côté-ci.

 

Ne sachant que faire de lui-même, après avoir rencontré Antonie, femme qu’il épousera au retour, Chamisso embarque en 1815 à bord du Rurik, depuis Copenhague, pour un périple de trois ans sur les mers, odyssée qui autorise le salut de son âme. L’écrivain assume le compte-rendu scientifique de l’expédition, non sans tenir son Journal autour du monde – publié en 1821 – et disponible aux éditions José Corti. Il y fait montre d’un regard neuf sur les peuplades rencontrées. Sans a priori. D’une insatiable curiosité, aussi. Les géographes n’ont pas oublié Chamisso : une petite île de l’Alaska porte le nom du poète qui l’a découverte en 1816.

 

Les belles planches de cette bande dessinée ont le mérite de mettre un visage sur les figures féminines qui s’attachèrent au poète : Henriette Herz et Rahel Levin, notamment, femmes de cœur et d’esprit, dont les salons furent des foyers de création. Ce récit se lit d’une traite. On se sent moins bête autant qu’attendri en refermant l’album. On attend la suite : les aventures de Nerval auxquelles planche déjà Casanave ayant vendu son ombre à Vandermeulen. A moins que ce ne soit l’inverse.

 

Frédéric Chef

 

Casanave et Vandermeulen, Chamisso, l’homme qui a perdu son ombre, Le Lombard, coll. « Romantica », mars 2014, 256 pages, 22 € 

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