La solitude de l'ours polaire

La solitude de l'ours polaire, de Louis-Stéphane Ulysse,   est la  3ème publication des
 éditions E-Fractions, ( après  Aimer c’est résister et Lawrence d’Arabie ,  à contre-corps)  Je reviendrai dans une publication à venir sur ce que sont ces toutes jeunes éditions E-Fractions  dirigées  par Franck-Olivier Laferrère  et Paul Leroy-Beaulieu.

 

Le texte de Louis Stéphane  Ulysse ne plaira pas à ceux qui cherchent dans la lecture un moyen aimable et facile de passer un bon moment afin d’oublier la misère du monde.  C’est un choc frontal.  Pour ne pas  dire une effraction  dans  le prêt à penser.


Je n’imagine pas  que l’on puisse lire La solitude de l’ours polaire debout dans le métro sur son I’phone, ce qui me réconcilie avec les livres numériques qui ne seraient d’après leurs adeptes qu’un moyen de rendre la littérature légère et nomade.  

 La  littérature n’a jamais été pour moi  un divertissement,  bien au contraire de me détourner du monde et des hommes ou de  me complaire à m’y  mirer,  j’y cherche  ce que je ne vois pas, ce que je ne sais pas, l’arrière du décorum,  le désordre,  bref ce qui me bouscule et m’égare. Et bien avec La solitude de l’ours polaire, je suis servie !  Il m’a fallu  plusieurs lectures pour  parvenir à dessiller et à m’emparer du récit que je ne peux déflorer dans cette note de lecture en raison  de son format très court, il faut laisser aux lecteurs la magie (noire)  du texte opérer.

 

Louis Stéphane Ulysse balance  le lecteur dans les remous du gouffre sans  même lui avoir fait faire trempette avant. A  la manière d’un road movie  marathon qui chemine sur les dérives du désir et de l’amour, l’auteur   met en scène un homme qui veut voir sa femme le faire avec Hawaii Fender, un musicien qui le fascine. De façon obsessionnelle, il ne vit plus que pour ça, prêt à tout, jusqu’à la folie, sans savoir si lui importe finalement qu’elle le fasse, qu’il le sache ou qu’il la voie faire.  


Pour  dire le désir qui encombre les hommes et le désastre des solitudes qui les glace ou les échauffe, l’auteur décrit un monde peuplé d’hommes et de femmes perdus dans leurs délires,  des jungles urbaines  glaciales et une nature suppliciée.  Comme une procession d’aveugles, Ulysse embarque à la suite du narrateur et de celle de sa femme adorée et d’Hawaii, des personnages plus spectateurs qu’acteurs de leur propre existence  [ Je suis le grand croque-mitaine qui passe de maison en maison, en soulevant les toits pour voir ce qui manque à l’intérieur ]  dit Hawaii. 

Et le pauvre ours   polaire  du titre du récit, aussi déboussolé que les hommes,  se donne en spectacle comme un miroir pour les spectateurs hébétés, prisonnier de sa banquise qui dérive  et  finit par disparaître on ne sait où  avec les restes de la pauvre bête. 

 

Tout est exprimé de manière incisive et pourtant avec  tant de non-dits,  les ombres des hommes, des femmes et même des enfants se démultiplient, mouvantes, et le lecteur se surprend à chercher désespérément quelque chose de familier pour se raccrocher à une branche afin de ne pas se laisser embarquer dans la débâcle, [ Lumières des voisins encore  allumées dans la nuit, à ce demander ce qu’ils font, et toujours cette note sans fin, presque stridente, pour nous accompagner hypnotisés dans le vide de nos vies. L’angoisse a pris la place de notre désir. ]

 

Pourtant, si La solitude de l’ours polaire n’est rien d’autre qu’une  implacable complainte sur nos solitudes, nos peurs et l’absurdité de nos vies, la tendresse de Louis Stéphane Ulysse  pour ses personnages transparaît en filigrane tout au long de son récit et cette douceur réconforte un peu… [ la paisibilité que ça peut donner de regarder un corps qui respire sans savoir, magie douce … ]


NB / n'ayant pas  le matériel nécessaire je n'ai pas pu entendre en même temps  la musique qui accompagne le livre. Je ne peux donc  rien en dire, ne sachant ce que cela apporte ou pas à la lecture.  La composition de Caroline Duris  que j'ai néanmoins écoutée après lecture en format MP3 est néanmoins une très belle musique contemporaine.


Anne Bert

 

La solitude de l’ours polaire de Louis-Stéphane Ulysse, 

E-Fraction Éditions- mars 2013.

Livre numérique   accompagné d’une musique originale composée par Caroline Duris.   Prix : 3,99 euros.


C'est un livre spécialement conçu pour iOS mais l'éditeur met à disposition sur son site une version du livre avec la musique au format mp3 pour les autres supports.

 

 

Aucun commentaire pour ce contenu.