Sous les oratorios couvent des incendies…

À Venise, dernière année du XVIIe siècle : la petite Ilaria est confiée à une institution, la Pietà, qui accueille les enfants et les initie à la musique. Elle a six ans. Elle va apprendre le violon. Loin d’être abandonnée comme certaines autres gamines, Ilaria jouit d’une famille unie et d’une mère aimante ; elle a de plus une amie, Prudenza, qui est soprano léger, et qui chantera parfois lorsqu'Ilaria sera invitée à jouer du violon.
Lorsqu’elle a treize ans, elle va jouer une première fois. Elle ouvre la partition, c’est une cantate composée par Barbara Strozzi, musicienne morte quelques années auparavant. Ninfa ingrata, un violon, une basse continue et une soprano. Ilaria excelle dans l’art de déchiffrer. On lui a expliqué qu’il faut donner chair aux sons, qu’il faut les incarner. Ilaria va donc se pelotonner dans la douce chaleur de la musique. Au point qu’un jour, les joues en feu, elle va profiter d’une première sortie autorisée pour se jeter toute nue dans le canal en compagnie de son amie. À peine grondées, les deux gamines sont séchées, rhabillées, et surtout Paolo, le frère de Prudenza, aperçoit en un clin d’œil les formes délicieuses d’Ilaria.
Tandis que celle-ci est chargée de recopier les compositions d’Antonio – le maestro Vivaldi – Paolo tombe amoureux de cette violoniste mignonne. Lui rêve de conquêtes, de plaies et de bosses, reprendre aux Turcs les îles qui appartiennent à la Sérénissime. Ilaria, pour sa part, rêve surtout de musique, de belles partitions soigneusement tracées à la plume, avec une belle encre plus sombre que le canal. Prudenza va se marier. Ilaria étouffe, voudrait partir, brûlant de ce feu intérieur qui l’a toujours accompagnée. Elle vit intensément dans la chaleur des sonates, dans l’affection un peu trouble de la Prieure, dans l’amitié du maestro. Et son amie qui va partir, vivre ailleurs, peut-être loin de la Lagune…
Incandescente, Ilaria ne cesse de se consumer, de trembler. Antonio Vivaldi la regarde :  il trouve Ilaria assise de dos, ses tresses en couronne, le visage penché vers le papier à musique, l’encrier à sa droite, nuque tendue vers l’avant. […] Il voit dans la vertèbre saillante à la base de la nuque toute l’allégorie de la musique. La peau fine, la résistance de l’os et dedans une pulsation protégée par ces épaisseurs, trésor caché sous les carapaces. Sans doute Paolo pourrait-il la contempler de la même façon, s’il était encore là ; mais ce jeune spadassin est parti sur la mer pour atterrir sur une île peuplée de janissaires. Lui en tout cas ne fera pas long feu…
Bien sûr nous ne dévoilerons pas la fin de ce merveilleux roman. La prose poétique de Léonor de Récondo est envoûtante, qui restitue chaque tressaillement d’Ilaria comme l’archet sur la corde. On se souvient alors des merveilleux romans qu’elle nous a déjà donnés, on a envie de relire Amours et La Leçon de ténèbres. On se prend à espérer qu’un grand prix littéraire, cet automne, récompense toute cette finesse, cette incandescence, cette beauté.

Bertrand du Chambon

Léonor de Récondo, Le grand Feu, Grasset, août 2023, 220 p.-, 19,50 €
Découvrir les premières pages...

Aucun commentaire pour ce contenu.