La présente absence d’une révolution poétique chez Mahmoud Darwich

Injustement (trop) souvent présenté sous le seul qualificatif de poète de la résistance, Mahmoud Darwich était bien plus que cela, poète troyen & poète lyrique, poète de l’amour, du monde qui vit, de l’Histoire qui s’oublie, du temps qui s’étire, poète tout simplement… Embarqué à son corps défendant dans le combat politique grâce/à cause de son extraordinaire notoriété – connaissez-vous d’autres poètes qui emplissent des théâtres entiers et les rues adjacentes équipées de haut-parleurs, la cité sportive de Beyrouth en pleine touffeur d’été, les salles de Tunis, Paris, etc. – cette popularité qui lui offrit presque logiquement le portefeuille de ministre de la Culture du gouvernement palestinien en exil. Rattrapé par la guerre et la mort de ses amis, lâchement assassinés par les services secrets israéliens, à Londres, Paris, Tunis, dénonçant dans un silence assourdissant la mascarade des accords d’Oslo suivis par la fameuse poignée de mains entre Arafat et Rabin pour sceller les accords de Washington – n’oublions jamais que la colonisation israélienne a été la plus active après les accords en violation totale de ce qui avait été signé – Darwich démissionna du CNP et publia Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? regagnant ainsi les rives solitaires de l’homme de Lettres qui n’aura de cesse de tenter de dire l’impossible, de montrer cette réalité faite invisible par l’obscurantisme des actions politiques et de medias soumis…

 

Publié en 2006, soit deux ans avant son décès, Présente absence apparaît a posteriori comme le testament d’un homme lucide qui veut prendre de court la faucheuse et parvenir à remettre de l’ordre dans sa vie, s’amuser aussi à dresser un inventaire tout en sachant le ridicule de la situation. En vingt chapitres, il libère son Moi avec lequel il dialogue ou se laisse prodiguer ce qui advint ou ce qui aurait pu, si.

Si un soir l’armée israélienne n’était venue l’expulser, enfant, de sa maison, lui et sa famille ; pour raser le village et le rayer des cadastres et donc de la mémoire, lui intimant la défense du droit des fenêtres à regarder les passants

Si la Palestine n’était devenue un slogan pour xénophobes aguerris, cette « terre sans peuple pour un peuple sans terre », ainsi suppurera toujours la cicatrice [qui] est une mémoire vivante

Si l’amour ne s’était joué de lui, si Rita n’était pas partie un certain mois de juin 1969 rejoindre son fusil, laissant cette autre cicatrice que seule relève la femme experte dans l’exploration du cœur de l’homme suinter éternellement… Cet amour qui nous apparaît parfois sous la forme d’un ange aux ailes légères, capable de nous arracher du sol…

Si le doute ne l’avait toujours accompagné : Ne cherche pas le Cananéen en toi pour prouver que tu existes.

Si l’engagement ne s’était imposé à la vue de ces injustices répétées sans que rien ni personne ne trouve à y redire : L’invective est l’esprit chevaleresque vaincu qui compense sa défaite en portant le perdant au trône.

Si les siens, ces Arabes soit disant amis, ne s’étaient reniés à chaque rendez-vous comme si la Palestine n’était qu’un sujet de discussions de salon : Si tu savais en partie ce que je sais, tu aurais abjuré la langue arabe.

Si l’impatience ne s’était courbée en vertu : Tu n’as nul ennemi plus fort que le temps, nul adversaire plus noble que le miroir.

Et la Palestine flottera comme un mauvais slogan publicitaire puisque la nostalgie est l’absent qui tient compagnie à l’absent. Mais pusiqu'être nostalgique, c’est ne jouir de rien ici, sauf timidement, il écrira pour l’avenir afin d’oublier toute cette célébration bruyante et mensongère qui anesthésiait le monde avec des images.

 

Moscou, Le Caire, Beyrouth, Paris, Tunis, Amman, Ramallah… Ballotté de villes en valises, d’hôtels en appartements, Mahmoud Darwich vivait la Palestine en lui, se rappelant que l’impossible ambitieux pense que le battement des ailes du papillon efface la douleur ; terre aussi promise qu’une autre, il la trouva en lui, jihad spirituel s’il en est, dans l’harmonie de sa conscience puisque les hommes sont devenus fous…

 

L’oubli est l’entraînement de l’imagination à respecter le réel par une langue altière, l’espoir qui garde une image incomplète de l’avenir.

 

François Xavier

 

Mahmoud Darwich, Présente absence, traduit de l’arabe (Palestine) par Farouk Mardam-Bey & Elias Sanbar, Actes Sud/Sindbad, avril 2016, 128 p. – 17,00 €

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