Les corps intermédiaires… et délictueux de Mamadou Mahmoud N’Dongo
Bref, les temps sont ce qu’ils sont, et quand on lit correctement ces Corps intermédiaires on tire son chapeau à Jean-Noël Schifano, l’éditeur, qui a su convaincre Gallimard de jeter ce pavé dans la mare. Sans aller jusqu’à la fatwa, MamadouMahmoud N’Dongo risque au moins d’avoir les oreilles qui sifflent quand son livre sera lu dans certains milieux. Et pas seulement les mosquées crasseuses des banlieues oubliées où de pauvres hères sont victimes d’un lavage de cerveau, mais aussi dans le cabinet de lecture des nantis, d’Alain Minc à Claude Bébéar, pour ne nommer que deux des principaux coquins qui dirigent en sous-mains le chaos dans lequel on tente, vaille que vaille, de ne pas se noyer.
Sous couvert d’une enquête policière – le témoignage de l’artiste vidéaste Thomas Schoeller – le lecteur pénètre dans les arcanes de la manipulation politique. Scholler aurait eu une commande du fils du dictateur d’Anwar qui est féru d’art contemporain quand il ne collectionne pas les RealDoll : "Un homme avec un attribut féminin dans une théocratie islamique !" Amateur du beau sexe comme tout oriental qui se respecte – et un tantinet sadique comme tout fils à papa – Abbas Sidi Saïd sera le spectateur de sa propre déchéance, manipulé par un magicien d’Oz caché dans les Alpes suisses.
Ce qui peut sembler convenu dans le propos (pour celles et ceux qui se sont définitivement détachés des grandes messes d’information et n’appellent pas systématiquement au complot quand on s’inquiète de la version officielle du 11-Septembre), sera de tout premier ordre pour les autres. Mais, même quand on est un peu au courant des choses du monde, demeure l’étonnante langue de N’Dongo, et c’est bien là, finalement, que réside le propos d’un roman : enlever le lecteur par la magie des mots et la cadence, ce rythme unique qu’il sait donner à ses livres en estampillant les pages au gré de son caprice, car l’artiste a toujours raison ! Ainsi, vous serez séduit, emballé, par cette pagination aérée, légère, ponctuée de tête de chapitres aléatoires (vraiment ?) qui donnent l’illusion d’une symphonie : les chiffres et les mots, l’histoire et la réalité, la politique et la religion, et au centre, une fois encore une fois de plus, l’Homme, oublié, négligé, pion parmi les esquilles broyées sans fin par la machine sociétale, l’ogre capitaliste qui veut toujours plus…
Subtilement sur-titrée L’art du crime, cette réflexion sur la construction diabolique des légendes qui deviennent des histoires puis des programmes politiques et enfin des réalités imposées, glace le sang. Raison de plus pour dire non !
François Xavier
Mamadou Mahmoud N’Dongo, Les corps intermédiaires, Gallimard, coll. "Continents noirs", janvier 2014, 250 p. – 18,90 €
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Une émission, Des mots et débat, celle du 10 janvier 2014, avec Mr N'Dongo comme invité ; désormais en consultation à la fin de cette chronique...