Entre l'œil et l'esprit, il y a l'oeuvre. Ce présupposé pris à Merleau-Ponty, je sais que Marc Molk l'accepte, d'abord parce qu'il a consacré une partie de son temps d'étudiant à lire le philosophe de la Phénoménologie de la perception, mais aussi parce que, connaissant l'homme, je sais qu'il a une relation particulière aux œuvres d'art, la peinture surtout, qu'il met au-dessus des autres : parce qu'il la pratique en maître, mais aussi parce qu'il se retrouve pleinement dans les mots de Léonard de Vinci qu'il pose modestement en préface de son essai d'interprétation très personnel, Plein la vue : la peinture subsume l'art !
Trente œuvres examinées avec l’œil malicieux de l'admirateur éclairé, parmi lesquelles il ose cacher une des siennes, comme autant de conversations entre bons amis, car Marc Molk ne se gène jamais pour interpeller voire vilipender son lecteur comme pour La Vague de William Bouguereau (1896) : "On vous a dit 'Bouguereau tu mépriseras', et comme un âne vous avez obéi." Alors que le projet de Marc Molk est de nous forcer à aller voir de plus près, de mettre le nez sur la toile et d'oser oublier les académismes et les pudibonderies pour se coltiner à l'oeuvre, mano a mano, à les interpréter à partir de nous-mêmes et des mots d'aujourd'hui, hors de toute forme de cours magistral et prétentieux (même si l'on ne peut qu'admirer la culture du regard). Et si son écriture n'est pas celle d'un conférencier ou d'un endormeur de quelque visite muséale, fort heureusement, c'est parce que Marc Molk est un moderne passionné, qui parle comme il ressent et que ces artistes, à l'instar de ce que Jean-Paul Sartre disait dans Les Mots de ses écrivains dont il connaissait par cœur chaque reliure : ce sont les siens !
Ces peintres, de toute époque et de tout style, ce sont les siens, il en est si proche qu'il se permet quelques privautés (Max Ernest est appelé Maxou...) qui, sans choquer le lecteur, lui met comme un bras autour des épaules pour désacraliser encore un peu plus, et rendre sa vérité à l'acte de regarder. Ces peintures, il les connait par cœur et s'attache à nous montrer comme s'il les découvrait en même temps quelques facettes non conventionnelles. Son travail n'est pas de nous faire admirer, mais de nous amener à nous interroger sur l'apparente naïveté d'une toile, l'apparente vacuité d'une composition, l'apparent classicisme d'un visage poupin. Bien sûr, il y a des "études" comme celle du Mur de Guillaume Montier (2013), portrait d'une incroyable densité découvert au hasard d'Internet et qui exprime la force pure de l'amour (il s'agit du portrait d'un père par son fils, amour filial donc). Mais plus que la technique, présente cependant, c'est bien la posture du voyant qui intéresse dans ce bel essai iconoclaste qui est une promenade intelligente dans le musée personnel d'un artiste avant tout heureux de montrer ce qui l'émeut dans telle ou telle toile.
Marc Molk nous parle de lui, puise au fond de ses anecdotes personnelles de quoi illustrer sa propre mise en scène, bien sûr, il ne désincarne pas son regard. Mais il nous parle surtout de chacun de nous, ou du moins avec chacun de nous, dans une connivence jamais feinte et qui réussi à dépasser le cadre restreint du goût. Se tenant de biais par rapport aux usages, il nous maintient les yeux grands ouverts et réussit son pari de nous en mettre plein la vue.
Loïc Di Stefano
Marc Molk, Plein la vue, regarder la peinture autrement, Editions Wildproject, 168, 12 eur
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