Marcel Pagnol cinéaste, correspondance avec Raimu, Fernandel, Cocteau et les autres...

Les recueils de correspondances sont souvent riches en enseignements. On y glane des informations inédites, des réactions inattendues et des talents insoupçonnés. Il faut en prendre bien soin car ils vont devenir de plus en plus rares. Je doute que dans 50 ans l’on publie les échanges d’émails entre Steven Spielberg et Harrison Ford ni les échanges de sms entre Martin Scorsese et Leonardo Di Caprio ! Car la vraie lettre est d’une autre nature. Elle n’est pas tapée à la hâte sur un clavier. Il faut sortir le papier, le coucher sur le bureau, décapuchonner son stylo ou tremper sa plume dans l’encre et, pour finir, accoucher d’une écriture lisible (celle de Marcel Pagnol était exceptionnelle). Tout cela prend du temps et réclame un certain savoir-faire. Pratiques désuètes mais non moins importantes.


Or donc, voici un recueil de correspondances entre Marcel Pagnol et divers gens du cinéma (y compris des Américains comme William Wyler, Preston Sturges et Cary Grant !). Soyons francs : dans la majorité il s’agit de lettres envoyées à Pagnol et non écrites de sa main. Dommage car il avait un style magnifique. Sa réponse à Raimu (page 22) est un chef d’œuvre du genre :


"Charles me communique ta lettre, par laquelle tu me demandes que te rendre officiellement ta signature. Je te la rends sans aucune réserve, et, de plus, je te rends mon amitié, que tu avais perdue pendant plus d’une heure. Je ne te rends pas mon admiration, que tu as toujours eu pleine et entière, et qui n’a jamais varié même d’un centième de degré."


Car, ne l’oublions pas, Pagnol était un auteur dans le sens noble du mot. Pas seulement un scénariste ni un réalisateur mais un amateur des beaux mots et des belles lettres. Ses souvenirs d’enfance font désormais partie des sommets de la littérature française. Ce livre nous fournit une nouvelle preuve, Ô combien éclatante, de son talent !


Sur le plan strictement cinématographique, cet ouvrage ne nous apprend pas grand-chose. Quelques détails de ci de là mais le reste est connu de tout vrai amateur du maître.


L’intéressant est qu’au fil des pages – et des lettres – se dessine une certaine facette de Pagnol. On le savait – professionnellement – souvent inflexible, parfois intransigeant et – soutenaient certains – âpre au gain. On le découvre chaleureux, confiant. Il faut dire que la plupart de ces échanges épistolaires se font entre amis et que Pagnol savait ce que le mot « amitié » veut dire. Il ne la galvaudait jamais et quand il l’offrait à quelqu’un c’était pour la vie.


Le livre est construit de manière classique avec un classement par correspondant. Ni rangement alphabétique ni d’importance mais plutôt thématique. Avec, à chaque fois, une présentation succincte mais claire. On remarquera que l’auteur (Nicolas Pagnol, petit-fils du susdit) attache une grande importance aux récompenses officielles et aux médailles. Ainsi, comme à la parade, défilent tous les récompensés de la Légion d’honneur. Tous, excepté Charles Trénet qui – après l’avoir attendu longtemps – fut pourtant médaillé en mars 1998 !


De ce lot de personnalités deux ressortent fortement. À l’opposé l’une de l’autre : le tonitruant Raimu et le délicat René Clair. D’un côté ça pète, ça tonne jusque dans les virgules. Le grand Jules hurlait par pli interposé, faisant preuve d’une mauvaise foi dont Pagnol n’était jamais dupe. Les échanges sont presque violents mais souvent drôles. Ces deux-là étaient faits pour se rencontrer, s’affronter et créer ensemble des chefs d’œuvre. De l’autre se glisse ce grand cinéaste qu’était René Clair. Il rêvait de collaborer avec son ami Marcel mais les choses ne purent jamais se concrétiser. Qu’importait, restait entre eux une amitié forte, pleine de tendresse. À un Marcel malade, René écrit avec justesse (page 199) :


"Jacqueline [épouse Pagnol] me dit que pour le moment il est préférable de ne pas te fatiguer et je pense qu’elle a raison. Si on laissait s’approcher tous ceux qui t’aiment, ta chambre serait envahie et l’on ferait la queue à la porte." 


De tout cela ressort une certaine tristesse ou, à tout le moins, une grande mélancolie. Tous ces correspondants sont disparus et avec eux un certain cinéma, fait de chaleur et de passion. En ce temps-là, les gens du cinématographe s’aimaient et n’hésitaient pas à se le dire, ni à se l’écrire. Chacun était heureux du succès de l’autre et se décarcassait pour aider ses amis (Pagnol fit entrer Jean Cocteau et René Clair à l’Académie Française). Belle époque. Lointaine époque.


Ce livre-témoin doit se lire en été à l’ombre d’un figuier.

Il peut aussi se savourer en automne à la lumière d’une ampoule LED, mais c’est moins bien.


Philippe Durant 


J'ai écrit le rôle de ta vie, correspondance de Marcel Pagnol, établie par Nicolas Pagnol, Robert Laffont, octobre 2015, 265 pages, 21€


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