"A la recherche du temps perdu", les étapes manuscrites de l'épisode de la Madeleine

"Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l'heure de la messe), quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté ; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d'autres plus récents ; peut-être parce que, de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s'était désagrégé ; les formes - et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel sous son plissage sévère et dévot - s'étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d'expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir." 
(Marcel Proust, Un amour de Swan

Ainsi l'épisode de la madeleine entre-t-il dans l'histoire littéraire et, plus largement, dans la pensée commune. Or, la madeleine n'a pas toujours été une madeleine ! D'abord pain grillé, puis biscotte, ce n'est qu'au terme d'efforts de réécriture incessants que Marcel Proust opte finalement pour la madeleine. Et ce sont ces trois états du textes, ces trois étapes vers la perfection littéraire absolue, que les éditions des Saint Pères nous permettent d'admirer aujourd'hui dans un coffret absolument magnifique.

D'abord, il y a un grand et épais coffret entoilé vert, au format imposant (25 x 35 cm, 1,8 kg). A l'intérieur se déploient deux cachent qui renferment le trésor,  trois cahiers de moleskine noire reproduisant parfaitement les carnets de travail du maître qui, en une reprographie particulièrement soignée, donnent à lire les étapes de la fabrication d'un chef d'œuvre :

Le manuscrit du pain grillé. En 1908, à la demande du Figaro, M. Proust compose une critique qui sera augmentée et publiée de façon posthume sous le titre Contre Sai

nte-BeuveÀ la recherche du temps perdu est souvent considéré comme le prolongement romanesque de la poétique développée dans ces pages. C’est ainsi qu’apparaît le 1er passage qui lie l’émotion des sens à la résurgence du souvenir : le goût du pain grillé mêlé au thé. La toute première version de l’épisode de la Madeleine.

Le manuscrit de la biscotte. Dans ce volume, Proust hésite, rature, recommence. La forme évolue. Le gâteau est devenu une biscotte.

Le manuscrit des Petites Madeleines. Dans cet assemblage de notes diverses; que l’on peut considérer comme le manuscrit préparatoire de Du côté de chez Swann, on trouve enfin les Petites Madeleines. Deux écritures cohabitent dans ce cahier : celle de Proust et celle de son copiste, dans un dialogue unique et émouvant sur le travail même de l’écrivain. 


En complément, un livret contenant la préface très inspirée de Jean-Paul Enthoven qui termine en confirmant que "cette affaire, d'apparence frivole et gourmande, distribue tous les symboles d'une véritable eucharistie" ; la note de l'éditeur ; un guide descriptif des carnets ; la saisie de l'extrait de Combray, première partie du Côté de chez Swan contenant l'épisode de la Madeleine ; enfin une lettre de Marcel Proust à Jacques Rivière du 6 février 1914. 

S'il y a incontestablement un culte fervent voué à La Recherche, ce travail d'édition somptueux, digne des bibliophiles les plus exigeants, ajoute une pierre monumentale, indispensable pour tout proustolâtre, à cette église.

Loïc Di Stefano

Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, l'épisode de la Madeleine, préface de Jean-Paul Enthoven, Edition des Saints Pères, octobre 2015, 284 pages, 249 eur 
Premier tirage limités à 1000 exemplaires numérotés et nominatifs. 

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2 commentaires

Trop long,dense:tel est Proust qui a écrit dans un style et avec des phrases  ,la plupart du temps, à n'en jamais voir le bout:l'action y est hyper circonstanciée;la description ,hyper détaillée,le tout donne une forêt littéraire où se perdent les lecteurs ordinaires qui n'ont pas la formation requise ni la patience nécessaire.On a l'impression que cet éminent écrivain avait été une fabuleuse machine à parler ,mais une machine,c'est vrai, hautement qualifiée,très bien programmée

Décidément, quel perfectionniste ce Proust !