Duras, l'amant jaune, l'âme en noir

                   


L’album annuel de La Pléiade consacré cette année (anniversaire oblige) à Marguerite Duras complète magnifiquement les tomes III et IV des œuvres complètes où se retrouvent les textes derniers mais aussi des inédits de jeunesse. Avec l’album se découvrent non seulement des manuscrits mais surtout  des photos  et des lieux.  Des enfants, des plages et le vieux livre que Marguerite avait écrit pour eux. L’un d’eux y disait : « Je ne retournerai pas à l’école parce que j’y apprends des choses que je ne connais pas ». Ce n’est pas de l’humour. Tout est là. Duras et l ‘humour. Ce côté qu’on oublie trop souvent chez l’auteur qui disait  à un correspondant intempestif « il n’y a pas de téléphone ici » puis elle raccrochait... Pour se consacrer à l’écriture de films, de pièces, de romans. Pendant des mois. Elle appelle ça parfois « Mourir sur Seine ». Elle écrit pour Bulle (Ogier) et Madeleine (Renaud). Pour Yann plus tard et surtout pour elle. A 50 comme à 83 ans. Se veut fille, mère, Savannah Bay, un estuaire. Entre deux eaux, deux terres, deux âges. Et pour se reposer « sa » chanson de Piaf. « C’est fou ce que j’peux t’aimer ». Cela l’amour. Son amour.

Duras trop amoureuse mais trop pusillanime. Amour d’angle, vie d’angle. Pour voir la mer il faut tourner cet angle. Pour voir la mère aussi. Belle astuce. « On n’a pas de vie lorsqu’on est écrivain » – du moins dans la vision romanesque que Duras aime à se donner. Puis reprenant ce qui s’est passé, ce qui se passe. Rien ou presque. L’amant. Jaune. Anthelme, l’homme aux « yeux verts ». Et bien d’autres jusqu’à Yann. L’âme en blanc.  L’homme en noir. La prise en charge mutuelle. L’attente. L’obsession de l’attente. Jusqu’à ce que. « Vous. Vous êtes dans la chambre avec moi ».  Duras renversée. Renversante. Et toujours les paquebots, la plage. Mais sans s’y faire bronzer. Un écrivain n’a pas le temps. Les rillettes oui. Le soleil non. L’amant. Le grognon. Les disputes. La lumière. Ravir. Etre captivée. Etre captivante. A 67 ans. Faire un film. Les Roches Noires. Puis s’interdire le cinéma.  Les transports amoureux. La vie matérielle. La vie parlée. Pas écrite. La vie qui tue. Comme un automne de toujours. Mais faire de ce toujours une succession de livres. Faire faire les courses. L’aspirateur. L’odeur chimique qui vient du Havre. L’alcool. Hanoï . Saigon.


Ecrire dans l’instinct. Il était - comme l’amant -  déjà là dans la nuit de l’enfance. Du moins l’instinct de survie.  Parfois tout savoir pour rien ignorer. Parfois tout ignorer pour éviter le pire. Et retrouver Le Central. Table 309. Trouville.  Soles et Champagne. Mont Blanc (crème de marron, Chantilly). La curiosité. La 604 Peugeot. La Cabaret Normand. Mais rien de Maupassant et sa Normandie à part le Calva. Duras sera toujours plus des terrains vagues et des marges que de l'humus arable et des pommiers. Ni terre, ni mer. L’estuaire. Le Mékong. Ou la Seine. Le limon. Tous les fleuves se ressemblent. Même le fleuve Amour. Gris. Plongeant dans une mer lasse où la mère fut lasse. Dès lors Duras sait  qu’« Ecrire est fatal ». Ecrire dit-elle. Ce qui est différent de l’amour. L’affectif est une pensée. Une pensée sans discours.


Seul celui-ci  permet  à Duras de se  poursuivre. Face à la Seine sans héros ni hérons. Yann en voyait partout mais « il est miro » aimait-elle à plaisanter. Puis « Limonade chez les Routiers ». Ballade ou randonnée. Parly 2. « Les femmes habitent les lieux pas les hommes » dit-elle. Foisonnement de femmes. Tout est à la fin ravaudé, recollé, scotché. Rue Saint Benoît. Neauphle. Trouville. Les traces. Les fantômes de ses propres femmes : Hélène, Nathalie Granger, la Stretter. Et les toiles d’araignées « c’est finalement assez beau dans une certaine lumière ». Plus tard, Trouville devint l’Indochine. Marguerite y regarda les enfants aux yeux gris. Jalouse parfois de ce qu’elle a écrit. L’envers du narcissisme. Immodestie totale mais sans la moindre vanité. A nuancer parfois. A nuancer. Et pour cela reprendre les œuvres  et les images. En cette année d’anniversaire Gallimard fait de bien belles propositions pour ne pas les manquer.


Jean-Paul Gavard-Perret


Marguerite Duras, Œuvres complètes, tome III et IV, La Pléiade, Gallimard, 2014. « Album Marguerite Duras », Christiane Blot-Labarrère, Album Pléiade, 2014, « Le Livre dit - Entretiens de Duras filme »,  Collection Cahiers de la NRF


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