Frankenstein et autres romans gothiques en Pléiade : peur bleue garantie

Dans ce terme un peu abscons, voire fourre-tout, quelle date fixer pour donner un semblant d’ordre dans la riche histoire du roman gothique ? Il semble que l’année 1764 marque d’une pierre blanche (sic) le début de l’aventure, avec la parution du texte fondateur de ce genre littéraire : Le Château d’Otrante d’Horace Walpole. C’est donc bien naturel qu’il ouvre ce nouveau recueil de la Pléiade consacré aux récits les plus représentatifs, et disposés dans l’ordre chronologique de leur publication. C’est en Angleterre que naquit cette sensibilité littéraire, mais la force de ce genre si particulier ira puiser bien au-delà de la perfide Albion les matériaux de son succès. D’ailleurs, Le Château d’Otrante se déroule-t-il dans l’Italie du Moyen Âge, et pose d’emblée les canons indispensables à la réalisation d’un roman gothique : architectures menaçantes, innocence persécutée, religion intrusive, superstitions, présence du surnaturel et enfin force implacable du destin…
N'est-ce pas là l'ancêtre de ce qui devint par la suite "SF-Fantasy" ?

 

La vocation universelle de cette littérature permettra aux femmes de se glisser dans la brèche et, aussi bien Ann Radcliffe (L’Italien) que Mary Shelley (Frankenstein) graveront à jamais leur nom dans l’Histoire. Surtout du fait que la littérature gothique n’est pas qu’une école ou un genre fermé, c’est avant tout une inclinaison, une démarche créative portée par une certaine forme de sensibilité, voire de vision. En parallèle, le théâtre élisabéthain offre une source d’inspiration inespérée : violence, mort et passions exacerbées construisent la tragédie de vengeance, architecture typique des œuvres de l’époque.

Une démarche qui vise à l’universalité à travers l’exploitation littéraire du spécifique, du pittoresque, de l’étrange et surtout de l’exceptionnel !

 

Les auteurs gothiques regardent donc plutôt vers le là-bas ou l’alors que l’ici et le maintenant, un discours, convenons-en, qui renvoie à l’intemporel. Est-ce à dire que c’est ici qu’il faut y voir les raisons d’un succès qui ne s’est jamais démenti depuis des décennies ? Le public ne s’y est pas trompé, attiré par la vibration de la corde la plus sensible chez l’homme : la peur. Hollywood l’a bien compris, déclinant à l’envie les films gore à petits budgets et immense recette.

 

Sans pour autant favoriser les raccourcis, il est tout le moins indéniable qu’une certaine typologie du romancier gothique existe surtout dès lors que l’on compare les grandes figures de ce courant littéraire, qui font ressortir nombre de ressemblances : Walpole, Beckford et Lewis appartiennent tous les trois à la classe sociale des grands privilégiés ; ils sont dotés d’un bagage culturel et d’une forme d’esprit cosmopolite très proches. Ce sont aussi de grands excentriques qui mènent grand train et ne se privent pas d’assumer leur orientation sexuelle, quelle qu’elle soit. De même, Marie Shelley, outre son immense talent, ne peut être dissociée de l’empreinte laissée par ses parents, son compagnon ou ses fréquentations, comme le dépeignit Judith Brouste dans son étonnant roman, Le cercle des tempêtes.

 

Inspiré de la littérature policière (Le Château d’Otrante) ou des romans dits « à sensation » (Frankenstein) le gothique tisse ses propres codes mais ne pratique point l’esprit de chapelle, donnant ainsi une fenêtre ouverte à tous, parmi lesquels Oscar Wilde avec Le Portrait de Dorain Gray ou encore Balzac qui y puisa cette tonalité sombre et cette horreur qui donnent à son écriture toute la noirceur qui en feront sa marque de reconnaissance.

 

Ces nouvelles traductions, dans la même veine que celle de l’Ulysse de Joyce, ou plus récemment de Tolkien, donnent à lire une langue raffermie et rajeunie qui offre plus de plaisir, rendant la lecture ludique tout en conservant les différents niveaux de langage. Un bon prétexte pour se (re)plonger dans nos lectures d’antan…

 

François Xavier

 

Frankenstein et autres romans gothiques, édition établie par Alain Morvan avec la collaboration de Marc Porée, traductions nouvelles, Gallimard, coll. "bibliothèque de la Pléiade" n°599, octobre 2014, 1440 p. – volume relié pleine peau sous coffret illustré, 58.- € jusqu’au 31 janvier 2015 puis 65.- €

 

Ce volume contient :

Horace Walpole, Le Château d’Otrante – William Beckford, Vathek, Matthew Gregory Lewis, Le Moine – Ann Radcliffe, L’Italien – Mary Shelley, Frankenstein

Aucun commentaire pour ce contenu.