Gauguin – Loin de la route

Portée par un adroit scénario, toujours empreint d’un idéal libertaire (Maximilien Le Roy aime tout autant la liberté que mélanger les époques et les sujets, en allant s’imprégner sur place : après Gaza et l’Indochine, il fit donc le voyage pour mieux raconter ces histoires dans l’Histoire), cette BD bénéficie également de l’éclat du trait gras et des couleurs proches du Douanier que Christophe Gaultier parvient à restituer à merveille, plantant un décor d’une telle audace qu’il nous happe et nous garde prisonnier. À notre corps défendant, on accepte avec ravissement cette plongée dans les Marquises et on savoure ce penchant pour la désobéissance civile. Un sport bien français que l’on aimerait tant revoir au goût du jour par ces temps de censure. Frondeur, Gauguin avale la vie par tous les pores de sa peau, et ne compte pas. Ni l’argent qui lui file entre les doigts, ni les jours qui s’égrainent avant le grand rendez-vous, ni les femmes ni l’alcool ni la loi qu’il bafoue quand il la juge injuste, infâme, ignoble…

 

Il faut dire qu’en ces temps-là, l’esprit colonialiste français avait encore le vent en poupe, et tout comme Thoreau, Gauguin déborde d’énergie pour insuffler un vent de révolte au sein des consciences autochtones. Et ce ne sont pas seulement les vahinés qui fascinèrent le peintre, mais cette culture polynésienne que la France était en train d’anéantir. Fort en gueule, imposant de sa personne (avant que la goutte et la syphilis ne l’affaiblissent définitivement), Gauguin chamboula les bonnes vieilles habitudes de la colonie et réussit à se mettre à dos prêtre et préfet…



N’oublions pas qu’en 1901, quand Gauguin débarque aux Îles Marquises, il a déjà pas mal roulé sa bosse : après une jeunesse au Pérou, il embarque dès ses dix-sept printemps révolus comme marin et fait plusieurs tours du monde. Cinq ans plus tard il sera agent de change à la Bourse de Paris, croisera la route des Impressionnistes et tombera sous le charme de Pissaro qui deviendra son mentor… Après un nouveau départ pour Rouen puis Copenhague (patrie de son épouse), il revient peindre en France aux côtés de Van Gogh, en Arles puis les fourmis dans les jambes se signalant, il repart pour voir le chantier du Canal de Panama, revient partager quelques temps avec les Symbolistes à Pont-Aven… puis se sera le choc définitif, comme un révélateur : le décès de sa fille Aline.

 

1890, Gauguin quitte la civilisation occidentale qui le répugne de plus en plus, et s’enfuit en Polynésie… Quand il s’installe aux Marquises, c’est avec un but précis : recouvrer le sel de la sauvagerie originelle et s’adonner à toutes ses pulsions créatrices. Peindre dans la folie de la nature, et seulement !



Très bel album de cette collection hors norme qui nous a déjà offert le spectaculaire Nietzche et le percutant Thoreau. Dans la même lignée, ce Gauguin dépoussière le mythe et renforce le trait d’un artiste hors des conventions dont la contemplation des œuvres procure des éclairs de sang qui iront faire vaciller votre âme…


François Xavier

 

Maximilien Le Roy & Christophe Gaultier, Gauguin – Loin de la route, Le Lombard, collection "Contrechamp", novembre 2013, 88 p. – 19,99 €

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