Mémoires du Général Toussaint-Louverture
Quel est le projet ?
C'est la question qu'on se pose en
examinant les feuillets qui constituent le récit de
Toussaint-Louverture. Une telle brièveté coïncide en effet
assez peu avec le titre. Est-ce à dire que l'objet
littéraire est totalement étranger au but qu'il se fixe ?
N'allons pas si vite en besogne...
Il importe en effet de tenir
compte des conditions d'écriture. Nous sommes en
1802, Napoléon, par une ironie aussi mordante que le froid
jurançon, a fait emprisonner le capitaine-général qu'il avait lui
même-nommé deux ans auparavant. Les Mémoires sont
donc un récit écrit en captivité par un auteur exilé dans une
contrée inhospitalière.
Les faits reprochés à
Toussaint-Louverture par le Premier Consul ne sont pas anodins si
l'on s'épargne la moraline rétrospective qui guide nombre de
réécritures historiques contemporaines.
En 1801, le général Haïtien
avait élaboré pour la colonie française une nouvelle constitution
inspirée de celle de l'an VII, canon ès constitution semble-t-il
puisque Fouché utilisera la même pour l'after de Bonaparte.
Le texte reconnaissait une liberté générale, consacrait un
catholicisme d'état, plaçait à la tête de l'île un gouverneur à
vie et prévoyait de recourir à une main d’œuvre africaine issue
du commerce triangulaire. On est donc assez loin de la légende dorée
et le plaid de Louverture ne convainc personne :« Si j'ai fait
travailler mes semblables, c'était pour leur faire goûter le prix
de la véritable liberté sans licence ; c'était pour empêcher
la corruption des mœurs ; c'était pour le bonheur général de
l'île, pour l'intérêt de la République. »
Les
Mémoires de Toussaint-Louverture se résument uniquement à
un plaidoyer pro domo justifiant la résistance armée qu'il
opposa au corps expéditionnaire de Saint-Domingue et un réquisitoire
vibrant à l'endroit du général Leclerc qui dirigeait l'expédition
en question. Ironie du sort, ce général à qui il demande si
souvent d'être confronté afin de faire éclater une vérité qui
n'intéresse alors personne mourra de la fièvre jaune âgé d'à
peine trente ans en 1802.
L'édition que propose le Mercure
de France est intéressante pour sa mise en relief du récit de
Toussaint-Louverture. En miroir de ce dernier et afin de ne pas le
prendre pour argent comptant, on a également accès au journal de
Caffarelli, le geôlier et témoin des derniers instants. Son rapport
est tout entier contrepoint : « Il [Toussaint-Louverture]
ne répond pas directement aux questions qu'on lui fait ; il
élude ou divague. Il m'a assuré [...] qu'il ne dirait que des
choses vraies, mais qu'il ne dirait pas tout. » Plus
intéressant encore, il est le précurseur des sceptiques qui
émettent un doute sur la véracité et l'authenticité du récit de
l'exilé :« J'ai lu ce mémoire et je me suis aperçu que
cet homme avait basé sur ce mémoire tout ses discours, et qu'il
croyait pouvoir le faire regarder comme contenant le détail exact de
sa conduite. »
Autre ajout appréciable et qui dénote une
édition de qualité, les notes de Saint-Remy, l'historien haïtien
qui exhuma le premier les Mémoires des Archives générales
de France. Elles sont un récit à part entière en même temps qu'un
éclairage historique.
L'introduction emphatique de Philippe
Artières exceptée, ce serait un sans faute !
Epiphane
Général Toussaint-Louverture, Mémoires, édition établie et présentée par Philippe Artières, Mercvre de France, mars 2016, 7,50 eur
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