Dominique Vergnon manie grâce et couleurs avec 52 maîtres de Giotto à Bacon

Puisque « les œuvres d’art sont des êtres secrets dont la vie ne finit pas » (Rilke), les classer est une hérésie comme l’est celle de domestiquer les animaux ou sélectionner les Hommes, mais aborder la peinture par l’angle de la passion et œuvrer à transmettre cet amour du beau d’une manière simple et ludique, à travers un ouvrage aimable à lire et plaisant à regarder, est un acte qu’il faut saluer. Autant pour encourager l’éditeur qui a pris ce risque que l’auteur à continuer. Oui, ce n’est pas en 52 peintres que l’on fera le tour, surtout s’il manque Picasso, Monet, Giorgione… On attend donc le tome2 ! Mais ne boudons pas notre plaisir, et pour arriver à Picasso il faut commencer par le commencement, non pas comme dirait monsieur de la Palice, mais notre catalan, qui lança au jeune Kijno, rencontré à Antibes à la fin des années 1950, que si l’on ne sait pas faire tout de rien, l’on ne sait rien faire du tout ; tandis que son doigt, préalablement humidifié de salive, plongeait dans le cendrier, se mettait en mouvement, dessinant d’un trait, d’un seul, le contour d’une colombe. L’histoire ne dit pas si elle devint d’or plus tard… Mais le légende se raconte encore dans la célèbre auberge de Saint-Paul… Donc peindre, oui, mais peindre l’essentiel, surtout.

Ainsi, nous irons de Vélasquez à Bosch en faisant des détours par Pierro della Francesca, Klimt, Marie Laurencin, Fragonard, Rembrandt, Gauguin, Le Greco, Poussin, Van Gogh, Doré, Clouet, etc. et l’un  des tout derniers entretiens que donna Francis Bacon.

 

Ce n’est pas d’histoire que l’on va vous entretenir ici, avec ce grand H pompeux que les universitaires manient un peu trop souvent, mais d’amour, de plaisir, de jubilation… Dominique Vergnon possède une plume (que les fidèles lecteurs ont découvert depuis longtemps) qui a déjà fait les délices de L’Œil, et ravira tous ceux qui porteront leur regard sur ce très beau livre. Une langue qui réveille, incite, précise ce que l’on ne voit jamais, révèle ce que l’on ne sait pas la plupart du temps. En quelques lignes, Vergnon plonge le lecteur au temps du maître, dépeint une époque, dissèque un propos, renvoie au tableau, en ressort par un jeu de mots, y revient par une porte dérobée, lumière…

 

Oui, « la peinture est un pont jeté entre les âmes », disait Delacroix, la peinture est tout aussi indispensable à notre quotidien que la musique et l’eau, sans elles nous ne serions que des machines sans éther, des muscles sans cervelle. Pour qui veut sentir, bondir, s’oublier et s’envoler dans l’univers des beautés célébrées, voici un album indispensable. Une sorte de tout en un qui convient parfaitement pour un premier voyage… Un cadeau idéal sous un prochain sapin plutôt que ces énormes monographies souvent soporifiques…

D’abord dépoussiérer, dessiller les yeux englués de boue télévisuelle, revenir à l’essentiel. Car, comme le disait Bacon, « l’art ne finira jamais […] Dali s’en va, Seura arrive. […] Et le temps fait son œuvre de tri. » Oubliez donc les modes, n’écoutez pas les marchands qui ont d’abord le curseur réglé sur le montant des commissions à reverser aux artistes, aux agios que leur banquier décompte chaque mois. Oubliez l’univers dans lequel vous êtes et n’écoutez que votre cœur. Seule votre âme vous dira ce qui est beau de ce qui ne l’est pas, votre opinion seule demeure dans le choix. Osez, tournez la page, émerveillez vous… quittez le réel et accédez à d’autres mondes en passant à travers ces miroirs que sont les tableaux, ces « fenêtres des constatations » dont parlait William Blake.

Ouvertes à double vantaux, votre serviteur s’y est engouffré dans le vent de la surprise, fiévreux comme un jeune étourdi montant les marches de la félicité à venir, d’autant que certains noms lui étaient inconnus, comme cet Henri Le Sidaner, peintre des réalités diurnes, magicien des tons, auteur d’une peinture dont Degas disait qu’elle était un état d’âme… Quel choc que cette lumière projetée après que le peintre l’ait vue, digérée puis reproduite dans un calque sublimé qu’il signera. « Comme au théâtre, on est dans un intervalle de faits indéterminés, devant un interlude », et la surprise est de taille !

Derrière l’invisible se cache le plaisir.

 

François Xavier

 

Dominique Vergnon, Comment dire la grâce en peinture – 52 maîtres de Giotto à Bacon, préface de Pierre Rosenberg, 195x225x, couverture souple à larges rabats, illustrations couleur, Michel de Maule, novembre 2010, 445 p.-, 39,00 euros

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