Casanova parachève l'Histoire de (s)a vie : tome II & III

Voilà deux ans, paraissait le tome I qui évoquait la jeunesse vénitienne de Casanova, jusqu’à son évasion de la prison des Plombs. Un coup d’œil à quelques pages du manuscrit original présenté à la BnF nous avait ouvert l’appétit, et la lecture confirma la savoureuse dégustation littéraire... puis la frustration s’invita : quid de la suite ? Voir enfin ces deux tomes paraître est une délivrance ; Dieu existerait-il ? Voilà plus de deux mille pages à savourer cet été, à l’ombre des tamaris, dans le hamac bercé par les cigales, deux mille pages de saveurs et de tourments pour continuer l’aventure du plus séduisant des agents secrets.

 

On le retrouve exilé à Paris, à trente-deux ans, rien n’est trop beau pour notre héros qui succombera aux maladies de l’esprit : libertinage, dissipation, une certaine légèreté dans les affaires… Ces années 1757-1763 (le tome II) furent les années fastes de Casanova, protégé par quelques pairs de France, adoubé par les francs-maçons, le voilà introduit jusqu’au cœur du pouvoir par l’ambassadeur de Venise (sic). Et l’opulence viendra sous les atours gracieux et ensorcelés de la marquise d’Urfé qui l’attifera comme un prince roulant carrosse. Mais notre homme ne se refait pas : il mélange les genres, confond faste et respectabilité, parvient à se ruiner aussi vite qu’il s’est enrichi et surtout persiste dans la pratique des sciences abstraites, magie, cabale, astrologie, qui le conduiront à commettre pas mal d’escroqueries...  tant il avoue être épaté par le scandaleux comte de Saint-Germain.
Mais Casanova ne tiendra pas en place, Paris ne sera qu’un camp de base ouvrant à de multiples voyages aux Pays-Bas, en Suisse, Italie, Savoie, Autriche… La guerre de Sept Ans ravage l’Europe, notre espion reprend du service.

 

Il manque de peu de se faire enrôler dans l’armée allemande, se cache dans un couvent, s’enfuit en Italie… un an et demi d’allers-retours  et d’intrigues. Mais c’est un rythme qui lui sied, car l’idée même de se fixer lui est insupportable ! Il veut tout voir, et surtout jouir de se promener en homme libre, en homme de plaisir avant tout, et tant pis pour la belle Manon Balletti et les fiançailles qui s’évaporeront sous le soleil.


Tout comme la guerre de Sept Ans qui s’achève donc en 1763, de conserve avec la "régénération" de la marquise d’Urfé, il est donc grand temps pour notre Casanova de filer à l’anglaise, cela tombe bien c’est à Londres qu’il décide d’aller poser ses bagages. Mais l’histoire se répète derechef et à peine un an plus tard il en est chassé, avec comme compagne une syphilis qui le précipite aux portes de l’Enfer.

Cahin-caha il porta sa carcasse d’Allemagne en Russie, de Pologne en Espagne, devant sans cesse se réinventer, prouver ses compétences, las… le poids des âges se fait de plus en plus sentir et sa réputation parfois le précède – comme bien après lui, un certain 007. Il ne peut donc plus tromper son monde : vexations et expulsions seront ses deux mamelles désormais, triste sire blessé dans son « honneur ».

 

Ce qui ne l’empêche pas de continuer à séduire et d’avouer quelques passions passagères, à Madrid par exemple. Mais plus le récit avance plus devient pesant le passage du temps, et les derniers tomes voient des digressions apparaître de plus en plus, notamment sur les problèmes politiques (de la Pologne ou de la France), philosophique (amour, beauté, Dieu) ou bien concernant ce "noir chagrin" qui le désole. La comédie humaine l’attire tant que de s’en voir, petit à petit chassé, lui rend l’existence insupportable…

Est-ce alors par lassitude que l’Histoire de ma vie s’interrompt en 1774, juste avant le récit du "plus beau moment" de sa vie, son triomphal retour à Venise ?



 

Malgré l’ancienneté du manuscrit, cette œuvre du XVIIIe siècle est astucieusement traduite tout en conservant une transcription aussi fidèle que possible d’un original en français mais teinté des formules idiomatiques italiennes, voire vénitiennes car Casanova ne parvenait pas à se défaire totalement de sa langue maternelle.


En accompagnement, l’Album Casanova de Michel Delon (à feuilleter ici) ponctue cette trilogie avec un ouvrage richement documenté nourrit par un texte précis et un arsenal de documents et d’informations qui permettront au lecteur d’embrasser le destin extraordinaire de cet homme qui ne fut pas – et de loin – qu’un séducteur et un beau parleur.
Grâce à son témoignage qui penche parfois du côté de la fiction, cette Histoire de ma vie permet de restituer une vision à peu près conforme de ce que fut l’Europe polyglotte et bariolée de l’époque. Aventurier, amant légendaire, affairiste, escroc et mythomane dans l’âme, ce fils d’un comédien et d’une artiste lyrique, frère de deux grands peintres, s’invente le titre de chevalier de Seingalt et s’impose comme le romancier d’une vie vouée au plaisir. Il invite le lecteur à l’accompagner dans un destin hallucinant qui est aussi une galerie de portraits féminins sensationnels et une fresque de la comédie sociale, à la veille du tremblement de terre de la Révolution française.

 

 

Ces volumes contiennent:
Histoire de ma vie jusqu'à l'an 1797 : tome IV, 1757-1760 – tome V, 1760 – tome VI, 1760-1762 – tome VII, 1762-1763. Appendices : Chapitres X-XIII du tome VI absents du manuscrit (versions Hans Hartje et Laforgue) – Versions anciennes du tome VI (chap. II et III) – Première version du chapitre XI du tome VII –  Portrait de Casanova par Bernard de Muralt –  Quinze lettres de Manon Balletti à Casanova –  Lettre de Silvia Balletti.

 

Histoire de ma vie jusqu'à l'an 1797 : tome VIII, 1763-1766 – tome IX, 1766-1770 – tome X, 1770-1774. Appendices : Extraits des Mélanges du prince de Ligne –  Extraits de la correspondance entre Casanova et le prince de Ligne –  Casanova dans le journal du comte Clary – Dix-neuf lettres adressées à « Faulkurcher ».

 


François Xavier

 

Casanova, Histoire de ma vie, tome II, coll. "Bibliothèque de la Pléiade n°137", édition établie sous la direction de Gérard Lahouati et Marie-Françoise Luna, avec, pour ce volume, la collaboration de Furio Luccichenti et Helmut Watzlawick, Gallimard, mai 2015, 1360 p. - 57,50 € jusqu'au 31 décembre 2015, puis 65,00 €

 

Casanova, Histoire de ma vie, tome III, coll. "Bibliothèque de la Pléiade n°138", édition établie sous la direction de Gérard Lahouati et Marie-Françoise Luna, avec, pour ce volume, la collaboration de Furio Luccichenti et Helmut Watzlawick, Gallimard, mai 2015, 1344 p. - 57,50 € jusqu'au 31 décembre 2015, puis 65,00 €

 

Michel Delon, Album Pléiade Casanova, Gallimard, mai 2015, 224 p.

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