Né en 1929, Tchèque, inscris au Parti et exclu du Parti, Kundera, professeur, s'exil en France après le "Printemps de Prague" et poursuit son oeuvre burlesque et féroce 

La fête de l’insignifiance : l’envoi de Milan Kundera

Rien n’est jamais acquis avec les écrivains, s’entend ceux qui façonnent l’avenir et (re)dessine le monde, de Char à Saramago, de Roth à Kundera : et quand ce dernier semble avoir donné son aval pour que son œuvre définitive soit enchâssée dans deux tomes reliés pleine peau de la Pléiade, cela ne signifie pas qu’il n’aurait plus rien à dire. Voire qu’il n’oserait pas une dernière pique si l’occasion se présentait. Saramago n’a rien publié pendant dix ans malgré les relances de son éditeur, arguant qu’il s’exprimerait quand bon lui semblerait, ce qu’il fit avec l’extraordinaire Évangile selon Jésus-Christ suivi d’un non moins déroutant Caïn. De même, Kundera n’avait point refermé le couvercle en rejoignant la prestigieuse collection, il observait, notait, constatait la confirmation de ses certitudes, la dégradation des normes et quand l’heure fut venue, il sut se saisir de son stylo pour nous déclamer l’une de ses satires dont il a le secret…

 

Leçon de modestie, ce court roman est millimétré, pas un mot en trop, point de longueur, ce n’est pas un livre pour passer le temps, c’est une mise en abyme, une renonciation : l’humble aveu d’impuissance face à la déferlante du grand n’importe quoi. Puisque l’on ne peut rien changer de ce monde qui part à vau-l’eau, autant ne pas le prendre au sérieux. Ainsi, pour ne pas devenir fou et être heureux, marchons sur les traces d’Hegel qui, "dans sa réflexion sur le comique, dit que le vrai humour est impensable sans l’infinie bonne humeur. […] Pas la raillerie, pas la satire, pas le sarcasme. C’est seulement depuis les hauteurs de l’infinie bonne humeur que tu peux observer au-dessous de toi l’éternelle bêtise des hommes et en rire."

 

J’entends déjà les chagrins monotones des râleurs qui vont crier au scandale de lèse pompe : mais pour qui se prend-il d’ainsi se moquer de tout et de tous ? Ce à quoi nous pourrions évoquer l’idée d’une certaine sagesse. Le détachement, arme ultime contre la crasse bêtise qui nous gouverne ? Milan Kundera aurait donc lu « L’ignorant » de Philippe Jaccottet ? Plus je vieillis et plus je crois en ignorance, / plus j’ai vécu, moins je possède et moins je règne. / Tout ce que j’ai, c’est un espace tour à tour / enneigé ou brillant, mais jamais habité.



Six personnages parisiens se livrent ici à une joyeuse partie de réparties : Ramon, l’adepte de la bonne humeur et des ballades au jardin du Luxembourg, Charles qui invente sans cesse une pièce pour un hypothétique théâtre de marionnettes, D’Ardelo en Narcisse qui ira jusqu’à s’inventer un cancer foudroyant pour se donner l’air important et qui décide sur le champ de donner une réception mondaine, pour oublier le drame qui le frappe, au cours de laquelle Caliban, acteur au chômage, s’improvise étranger et parle une langue inventée tandis que Quaquelique rêve d’une possible conquête amoureuse ; et le sixième, Alain, soliloque avec sa défunte mère par le prisme d’une seule et unique photographie au mur de son studio, guettant le moment propice pour oser ouvrir – et boire – un armagnac distillé l’année de sa naissance.

 

"L'insignifiance, mon ami, c'est l'essence de l'existence. Elle est avec nous partout et toujours... Mais il ne s'agit pas seulement de la reconnaître, il faut l'aimer, l'insignifiance, il faut apprendre à l'aimer."

 

Six personnages pour autant d’idées essentielles de la manière de prendre part à cette vie. Car c’est bien à partir de l’instant où nous admettons croire en nos idées que l’adhésion au dogme gagne en rationalité en instaurant l’illusion comme base de l’entendement. Croire alors devient une convention qui permet de corriger l’illusion de nos espoirs et annihile définitivement cette nature humaine que nous mettions au-dessus de tout pour justifier la violence indifférenciée qui nous habite…


Mais à quoi bon ? chantait déjà Jane Birkin sur des paroles de Gainsbourg ; oui, à quoi bon tout ce cirque pour une même et unique fin ? Tout cela n’a que peu de signification, puisqu’il aura fallu des dieux et des concepts pour tenter de réguler l’infortune de l’incarnation. Bien contre mal, laid contre beau, donner un sens à. Balivernes nous dit Kundera puisque tout est voué à disparaître, rien n’est donc à prendre au sérieux, absolument rien. Sauf la bonne humeur. Lisez.
Soyez de bonne humeur… et advienne que pourra !

 

François Xavier

 

Milan Kundera, La fête de l’insignifiance, Gallimard, avril 2014, 142 p. – 15,90 €

1 commentaire


Je vous remercie infiniement d'avoir partagé avec nous cet article éloquant, qui m'a ébranlé, et m'a rassuré d'avantage que Milan est un Grand, un génie de la littérature. Son style et sa splendeur littéraire font de lui un écrivain super doué.