La fête de l’insignifiance : l’envoi de Milan Kundera
Leçon de modestie, ce court roman est millimétré, pas un mot
en trop, point de longueur, ce n’est pas un livre pour passer le temps, c’est
une mise en abyme, une renonciation : l’humble aveu d’impuissance face à
la déferlante du grand n’importe quoi. Puisque l’on ne peut rien changer de ce
monde qui part à vau-l’eau, autant ne pas le prendre au sérieux. Ainsi, pour ne
pas devenir fou et être heureux, marchons sur les traces d’Hegel qui,
"dans sa réflexion sur le comique, dit que le vrai humour est impensable
sans l’infinie bonne humeur. […] Pas la raillerie, pas la satire, pas le
sarcasme. C’est seulement depuis les hauteurs de l’infinie bonne humeur que tu
peux observer au-dessous de toi l’éternelle bêtise des hommes et en
rire."
J’entends déjà les chagrins monotones des râleurs qui vont crier au scandale de lèse pompe : mais pour qui se prend-il d’ainsi se moquer de tout et de tous ? Ce à quoi nous pourrions évoquer l’idée d’une certaine sagesse. Le détachement, arme ultime contre la crasse bêtise qui nous gouverne ? Milan Kundera aurait donc lu « L’ignorant » de Philippe Jaccottet ? Plus je vieillis et plus je crois en ignorance, / plus j’ai vécu, moins je possède et moins je règne. / Tout ce que j’ai, c’est un espace tour à tour / enneigé ou brillant, mais jamais habité.
Six personnages parisiens se livrent ici à une joyeuse partie de réparties : Ramon, l’adepte de la bonne humeur et des ballades au jardin du Luxembourg, Charles qui invente sans cesse une pièce pour un hypothétique théâtre de marionnettes, D’Ardelo en Narcisse qui ira jusqu’à s’inventer un cancer foudroyant pour se donner l’air important et qui décide sur le champ de donner une réception mondaine, pour oublier le drame qui le frappe, au cours de laquelle Caliban, acteur au chômage, s’improvise étranger et parle une langue inventée tandis que Quaquelique rêve d’une possible conquête amoureuse ; et le sixième, Alain, soliloque avec sa défunte mère par le prisme d’une seule et unique photographie au mur de son studio, guettant le moment propice pour oser ouvrir – et boire – un armagnac distillé l’année de sa naissance.
"L'insignifiance, mon ami, c'est l'essence de l'existence. Elle est avec nous partout et toujours... Mais il ne s'agit pas seulement de la reconnaître, il faut l'aimer, l'insignifiance, il faut apprendre à l'aimer."
Six personnages pour autant d’idées essentielles de la
manière de prendre part à cette vie. Car c’est bien à partir de l’instant où
nous admettons croire en nos idées que l’adhésion au dogme gagne en rationalité
en instaurant l’illusion comme base de l’entendement. Croire alors devient une
convention qui permet de corriger l’illusion de nos espoirs et annihile
définitivement cette nature humaine que nous mettions au-dessus de tout pour
justifier la violence indifférenciée qui nous habite…
Mais à quoi bon ? chantait déjà Jane Birkin sur des
paroles de Gainsbourg ; oui, à quoi bon tout ce cirque pour une même et
unique fin ? Tout cela n’a que peu de signification, puisqu’il aura fallu
des dieux et des concepts pour tenter de réguler l’infortune de l’incarnation.
Bien contre mal, laid contre beau, donner un sens à. Balivernes nous dit
Kundera puisque tout est voué à disparaître, rien n’est donc à prendre au
sérieux, absolument rien. Sauf la bonne humeur. Lisez.
Soyez de bonne humeur…
et advienne que pourra !
François Xavier
Milan Kundera, La fête de l’insignifiance, Gallimard, avril 2014, 142 p. – 15,90 €
1 commentaire
Je vous remercie infiniement d'avoir partagé avec nous cet article éloquant, qui m'a ébranlé, et m'a rassuré d'avantage que Milan est un Grand, un génie de la littérature. Son style et sa splendeur littéraire font de lui un écrivain super doué.