L’impossible innocence : Les Impliqués de Zygmunt Miloszewski

Lentement mais sûrement, les éditions Mirobole continuent leur petit bonhomme de chemin, en publiant un deuxième livre dans leur collection « Horizons noirs » qui, comme son nom le laisse supposer, propose de la littérature policière. Après un polar danois, voici un titre polonais, choix beaucoup plus inattendu et original. Or Les Impliqués de Zygmunt Miloszewski n’est pas un simple tribu payé à l’exotisme, c’est aussi et surtout un excellent roman policier, qui ne se contente surtout pas de recycler un canevas convenu dans un contexte polonais.

Résumée dans ses grandes lignes, l’intrigue ne présente pourtant rien qui sorte de l’ordinaire. Henryk Telak est assassiné au cours d’une session de thérapie collective, une broche à rôtir plantée dans l’œil. Le procureur Teodore Szacki, la trentaine largement dépassée, est chargé de superviser l’enquête. Or cette affaire entamée à contrecœur et envisagée d’abord comme un vol crapuleux banal qui aurait mal tourné, s’avère en fait bien plus complexe et délicate qu’il y paraissait au premier abord.


Si Les Impliqués séduit, c’est qu’il mêle heureusement le polar à la peinture sociale et au portrait psychologique, grâce à une solide maîtrise des lois du genre que Zygmunt Miloszewski a visiblement assimilées pour mieux les détourner ou s’en démarquer. Il n’y a qu’à voir la sempiternelle scène chez le médecin légiste, au seuil de laquelle le narreteur s’empresse de constater que Szacki « n’avait jamais été fasciné par les autopsies, même s’il devait admettre qu’un bon légiste trouvait en général plus d’indices dans un corps que tout le laboratoire de criminologie n’en extrayait des traces matérielles prélevées sur la scène du crime ». Ce type de distanciation légèrement ironique est à l’image de tout le roman. Ainsi mise en perspective, la scène de l’autopsie apparaît d’abord comme un tribut payé au genre, interprétation qui rejaillit subtilement sur l’humour noir dont les médecins y font immanquablement preuve.


Ce travail sur la matière policière est particulièrement saisissant concernant le protagoniste. Leur incessante confrontation au Mal transforme trop souvent les enquêteurs en créatures semi alcooliques et solitaires, strictement taillées sur le même gabarit, à quelques points de détail près. Sur cette toile de fond, Teodore Szacki fait figure d’original, et son portrait ainsi que la crise qu’il traverse sont au moins aussi intéressants que le déroulement de ses investigations. Le procureur est un homme rangé, plutôt bien marié et père d’une fillette, mais qui soudain éprouve une lassitude accablante face à la routine de son existence. Le portrait qui en résulte parvient à en faire un personnage à part entière – plein de contradictions, lâche et courageux, habile et maladroit… – et non simplement une machine à résoudre des énigmes qui passe sinon son temps libre à titiller la bouteille. Si Zygmunt Miloszewski est parvenu à faire vivre et évoluer son personnage dans le volume suivant de ses aventures, l’opus méritera d’autant plus de retenir l’attention du lecteur.

   

Cela étant, Les Impliqués vaut aussi le détour pour la portée à la fois historique et métaphysique que Miloszewski a donnée à son intrigue. Alors que celles d’un grand nombre de polars pourraient sans mal être transposée dans quasiment n’importe quel pays, l’intrigue de ce livre est intrinsèquement liée à l’histoire polonaise. Impossible de la déplacer en France ou aux USA. Pourtant, au-delà de cette spécificité, qui rend la lecture des Impliqués d’autant plus instructive, le livre explore aussi plus largement le fonctionnement d’une société ayant à gérer un passé totalitaire, et finalement, nous parle des sociétés humaines face aux vérités qui les dérangent : « les gens ordinaires, constate Szacki, tant qu’on ne leur soumet pas une preuve irréfutable des impostures dont ils sont victimes ou tant qu’on n’essaie pas de leur faire avaler des couleuvres gigantesques, prennent tout pour argent comptant. » Peut-on se dédouaner des crimes du passé ? Serions-nous tous des impliqués ? Telles sont quelques-unes des questions que pose ce remarquable polar qui, espérons-le, annonce la publication ultérieure des œuvres de Zygmunt Miloszewski en français.


André Donte

 

Zygmunt Miloszewski, Les Impliqués, coll. « Horizons noirs », Mirobole Éditions, octobre 2013, 442 pages, 22 euros   

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