Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière (1622-1673), auteur de comédies qui sont la peinture de son époque, acteur et directeur de troupe. Biographie de Molière.

Ôte-moi d'un doute... l'énigme Corneille-Molière


Une pièce essentielle d’histoire littéraire…


Seuls ces deux esprits indépendants et en marge de l’Université française pouvaient se permettre d’aborder enfin le vrai dossier Corneille-Molière en fournissant de surcroît les pièces du dossier de Pierre Louÿs, l’« inventeur » de cette affaire littéraire qui jette le trouble dans l’histoire littéraire.

J’ai pris le temps de lire ce copieux volume, pour avoir le temps d’en digérer le contenu. Mais pour ceux qui ne le sauraient pas encore, qu’est-ce que cette affaire Corneille-Molière? Rien à voir avec un débat entre deux rappeurs…

Au début, il y a un auteur, plus ou moins connu, Pierre Louÿs, qui avait écrit une pseudo traduction de poèmes d’une courtisane antique, une certaine Bilitis. Plusieurs universitaires tombèrent dans le panneau, certains allant même jusqu’à applaudir à la traduction assez fidèle de cette poètesse bien connue des dits universitaires… Quelques temps après il indiqua être parvenu à déchiffrer les manuscrits codés d’un certain Henri Legrand (manuscrits déposés à la Bibliothèque Nationale), ce que tout le monde refusera de croire, pensant à une nouvelle Bilitis, et il fallu attendre la publication en 1977 du délirant Adèle Adèle Adèle pour découvrir qu’il avait raison (texte que nous vous recommandons d’ailleurs). On sait que le ridicule ne tue pas, mais il fait de vos victimes des ennemis irréductibles, aussi lorsque Pierre Louÿs finit par révéler dans quelques articles à la presse, qu’après de longues lectures et de multiples recherches, il était parvenu à avoir la conviction que plusieurs pièces de Molière, et des meilleures, étaient en fait de la main de Corneille, on assista à un tollé presque général. Pierre Louÿs se résigna donc à garder le silence.

L’affaire rebondit ensuite de loin en loin, produisant à chaque décennie son petit lot de livres et articles qui reprenaient l’affaire soulevée par Pierre Louÿs. En fait, le problème était le peu de documents louÿsiens dans la construction de cette affaire. Bien souvent on y retrouvait les mêmes arguments, et tous trouvaient leur origine dans LE DOSSIER de Pierre Louÿs, texte inconnu. Depuis quelques années, l’affaire Corneille-Molière prend moins l’apparence d’une profanation et de plus en plus l’apparence d’un canular qui a fait long feu. Mais au fait, qui a lu l’ensemble de cette littérature? Votre serviteur avoue avoir eu ce penchant pervers, et que des articles parus dans Comœdia jusqu’à François Vergnaud, il avait trouvé bien des éléments troublants, mais ce qui le troublait le plus c’était ce fameux dossier Corneille-Molière qui devait tout prouver mais que personne au fond semblait connaître, car peut de personne avait eu cet ensemble entre les mains, et rien de ces milliers de pages n’était paru directement.

Voilà que le meilleur connaisseur de Pierre Louÿs, Jean-Paul Goujon, sort enfin du bois, et en compagnie du chercheur indépendant qu’est Jean-Jacques Lefrère, repose les pièces du dossier en s’appuyant sur les documents louÿsiens, bien sûr, mais aussi sur le dernier état des recherches sur le sujet. À partir de ce livre, on dispose enfin des vraies pièces du dossier, on peut faire dire à Pierre Louÿs ce qu’il a dit, indiquer en quoi son propos était juste ou contredit par la recherche, fournir de nouvelles pièces à ce dossier.

J’avoue que sa lecture en est profondément instructive, qu’elle montre qu’on pouvait parler d’autorité sur le sujet sans y rien connaître et que nos deux hommes font tout le contraire… mais aussi il montre que ce n’est pas facile et ils se sont efforcés de rendre clair cet embrouillamini qu’est notre histoire littéraire, où il faut d’abord commencer par désapprendre pour enfin accéder à un savoir fiable.

Rendons grâce tout d’abord aux deux auteurs de ne pas prendre le lecteur pour aussi savant qu’eux, et dans le même temps de ne pas nous prendre pour les derniers – ou les premiers – des imbéciles qui doivent recevoir le pain béni d’une critique souvent figée depuis deux siècles… Ensuite nous leur donnerons acte du fait qu’ils ne nous imposent pas une solution avec une nouvelle bibliographie des œuvres cornéliennes et moliéresques, mais qu’ils nous livrent en toute honnêteté les pièces d’un dossier qui fut souvent invoqué ou critiqué, sans qu’on le connaisse… Enfin remercions les d’avoir tenté de démêler cet écheveau qui se faisait de plus en plus inextricable des critiques et contre-critiques, d’autant qu’on peut être certain qu’ils se sont fait toute une pléïade de nouveaux ennemis, ennemis d’autant plus que le volume est appuyé sur une copieuse documentation.

Ne vous fiez donc pas à ceux qui dirons le plus grand mal de ce livre parce qu’un titre ou une date sera fausse. Baudelaire indiquait que le seul droit que tout le monde devait revendiquer et qu’aucun ne pense même à invoquer était le droit à l’erreur… je me méfie donc de ceux qui critiquerons ce livre sur la base de préjugés acquis, ces gens ne se sont jamais trompés il faut se méfier d’eux. Faîtes comme moi, allez vous faire une idée, lisez un véritable ouvrage de critique littéraire, une vraie enquête avec une énigme que les auteurs n’ont peut-être pas résolue, mais pour laquelle ils vous offrent toute la documentation. Après tout pour une fois qu’un livre de cette nature s’adresse à notre intelligence en nous invitant à partager un échange d’idées, pourquoi pas.

Mon dernier mot sur le sujet, est que je ne me suis toujours pas fait de positions définitives sur le sujet mais que cela m’a donné envie de relire du Corneille et du Molière, pour voir encore une fois si… Ne serait-ce que pour cette incitation à une vraie lecture de nos classiques, ce livre devrait être recommandé à la lecture des étudiants… et des critiques. Avant de répéter les préjugés des générations précédentes, si nous étions vraiment ces Français qui se disent « cartésiens » et qui doutent de tout afin de pouvoir se faire leur propre jugement… si ?

Merci donc à Jean-Paul Goujon, pour qui Pierre Louÿs semble ne plus avoir beaucoup de secret, et à Jean-Jacques Lefrère pour avoir osé poser le problème sérieusement… maintenant, en pense ce qu’en veut chacun d’entre nous, mais en s’appuyant solidement sur ce livre solidement construit.

Juste au passage, il n’est pas interdit en le lisant d’avoir à ses côtés quelque édition des Corneille et Molière cités, d’abord pour voir sur … « pièces », et ensuite pour découvrir ou redécouvrir ces pièces. Les classiques meurent trop souvent de n’être tout simplement pas lu, on croit les connaître, mais qui d’entre nous a lu tout le théâtre de Corneille et de Molière?

Stéphane Le Couëdic

Jean-Jacques Lefrère et Jean-Paul Goujon, Ôte-moi d'un doute... l'énigme Corneille-Molière, Fayard, septembre 2006, 26 € 


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