Back in Town ! : Le retour de l'Anachronic Jazz Band

Qui, parmi les amateurs de jazz, ne se souvient des petites merveilles enregistrées par l'Anachronic Jazz Band à la fin des années 70 ? Elles proposaient, non sans humour et talent, une insolite rencontre entre tradition et modernité, réconciliant du même coup les tenants de l'une et de l'autre, ces "raisins aigres" et "figues moisies" dont les querelles picrocholines étaient alors loin d'être apaisées. De quoi s'agissait-il ? De s'emparer des morceaux les plus célèbres du jazz moderne, de les arranger et de les interpréter comme auraient pu le faire les orchestres des années 20.

 

L'idée, insolite de prime abord et même saugrenue, avait germé dans la tête d'André Francis. La mise en oeuvre en avait été confiée au saxophoniste Marc Richard et au pianiste Philippe Baudoin, co-directeurs artistiques qui avaient su s'entourer de solistes brillants, aptes à jouer le jeu. Mariage réussi, succès immédiat auprès de la critique française et internationale, des musiciens les plus célèbres, y compris les Américains. Accueil enthousiaste du public séduit par l'originalité de la formule. Et puis, après trois ou quatre ans d'existence, l'orchestre disparut du paysage en 1980. Ces enregistrements de légende connurent bien quelques rééditions en CD, mais les écouter ne faisait qu'entretenir la nostalgie d'un temps que l'on pensait révolu.

 

Or, surprise, voici que l'Anachronic renaît de ses cendres. A l'initiative d'un de ses membres, le trompettiste Patrick Artero, et de Dominique Burucoa, lui-même trompettiste, organisateur du défunt festival Jazz aux Remparts et directeur de la Scène nationale de Bayonne-Sud aquitain. Et l'album que nous propose cet orchestre, plus de trente-sept ans après sa création, est tout à fait digne des précédents. Il allie l'humour et le sérieux, le second degré et le raffinement des orchestrations, tout ce qui fonde l'originalité de son propos.

 

Des fondateurs, subsiste un noyau dur, Richard et Baudoin, réunis à nouveau pour perpétuer l'aventure, mais aussi Artero, Daniel Huck, André Villéger, Gérard Gervois. Sans oublier Göran Eriksson, spécialiste de la flûte à bec, qui intervenait dans un des premiers enregistrements. La juxtaposition de deux photographies dans le boîtier, l'une contemporaine, l'autre des années 70, témoigne, à l'évidence, de quelques changements d'aspect... Mais, outre qu'il ne faut jamais se fier aux apparences, l'essentiel reste la jeunesse du coeur et de l'âme, que nul d'entre eux n'a perdue, non plus que le talent. Cet album l'atteste avec éclat.

 

A leurs côtés, des musiciens plus jeunes mais qui s'intègrent parfaitement au projet, Jean-François Bonnel, François Fournet, Sylvain Glévarec et Pierre Guicquéro. L'ensemble sonne comme au premier jour, ce qui n'a rien pour surprendre, compte tenu de la qualité des musiciens. Plus remarquable encore, l'enthousiasme, intact. On a l'impression que l'Anachronic n'a cessé, depuis des lustres, de peaufiner son répertoire, sans la moindre interruption.

 

En fait de répertoire, celui de ce disque s'inscrit dans le droit fil de ce que l'orchestre nous avait, jadis ou naguère (de quel adverbe user lorsque se sont écoulées presque quatre décennies ?), donné à entendre. Parker (Confirmation et une nouvelle version d'Anthropology), Miles Davis (Solar, Four - encore que ces deux titres, signés par le trompettiste, ne soient pas vraiment de sa plume...), Thelonious Monk (In Walked Bud), mais aussi Quincy Jones, Sonny Rollins, le célèbre Take Five de Paul Desmond devenu pour la circonstance Take Four, Chick Corea et même Charles Mingus sont mis à contribution, les deux co-leaders fournissant chacun une composition personnelle qui participe du même esprit.

 

Autant de détournements, d'adaptations, d'appropriations, d'arrangements dont chacun apporte sa couleur propre à une démarche commune. Pas question de dresser un palmarès. Il suffit de tresser des couronnes aux arrangeurs et aux solistes qu'un livret particulièrement soigné détaille pour chacune des pièces, commentées en outre par Philippe Baudoin. Dénominateur commun, le swing. Un swing roboratif. Et la jubilation constante qui fait de cet album l'une des réussites les plus éclatantes de ces six premiers mois de l'année.

 

Jacques Aboucaya

 

Anachronic Jazz Band, Back in Town !, Jazz aux Remparts JAR 64022, enregistré au Théâtre de Bayonne-Scène nationale du 21 au 25 janvier 2013.

Direction musicale, Marc Richard et Philippe Baudoin. Patrick Artero (tp), Pierre Guicquéro (tb), Marc Richard (cl, as), Jean-François Bonnel (cl, C-melody sax), André Villéger (cl, ss, ts), Philippe Baudoin (p), François Fournet (bjo), Gérard Gervois (tu), Sylvain Glévarec (dms), Daniel Huck (voc, as), Göran Eriksson (fl à bec).

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