Mary Lou Williams, the First Lady in Jazz 1927-1957 : Rien à jeter !

Comment faut-il entendre ce « first lady in jazz » ? Pour ce qui est de la chronologie, il est un tantinet abusif.  Avant Mary Lou, quelques personnes du sexe, comme on disait autrefois, se sont illustrées dans cette musique. Surtout au chant et au piano. A commencer par Lil Hardin, qui devint l’épouse de Louis Armstrong et participa, dans les années 20, au succès de ses Hot Five et Hot Seven. En cherchant bien, on en trouverait sûrement d’autres, oubliées aujourd’hui, telle la pianiste et chef d’orchestre Lovie Austin. Dédiée essentiellement au blues, elle grava, à la même époque, quelques faces mémorables avec ses Blue Serenaders, où officiait, entre autres, le trompettiste Tommy Ladnier.

 

Il faut donc comprendre cette appellation comme un superlatif et, dans ce cas, on ne saurait prétendre qu’il est usurpé. Car la place de cette musicienne  dans l’histoire du jazz et son rôle dans son évolution est loin d’être négligeable. Si on en croit Duke Ellington, irréfutable expert en la matière, « son écriture et ses prestations ont toujours été un peu en avance sur son époque, et cela pendant toute sa carrière. » Plus loin, il parle du caractère intemporel de sa musique. « Elle est comme l’âme de l’âme », assure-t-il. Formule éloquente.

 

 Née en 1910, disparue en 1981, elle a mené une carrière de pianiste, d’arrangeuse et de compositrice entamée très jeune. Ainsi a-t-elle traversé les turbulences du be-bop dès la fin des années 40 aux côtés des Dizzy Gillespie, Thelonious Monk et autres Bud Powell ou Tadd Dameron qui en furent les pionniers. Elle jouera même, en 1977, en duo avec le pianiste avant-gardiste Cecil Taylor. Entretemps, touchée par la grâce, elle aura composé des messes et des  pièces d’inspiration sacrée, enregistrant de nombreux disques sous son nom ou comme partenaire de musiciens très divers.

 

Un jalon important, donc, dans l’épopée d’une musique qui compte surtout des hommes parmi ses héros et ses hérauts. Le présent coffret permet de juger de l’importance de Mary Lou Williams, non seulement en tant que pianiste à la technique brillante, imprégnée de blues, marquée par les figures tutélaires de Jelly Roll Morton et des spécialistes du stride, mais comme compositrice et auteur d’arrangements à la fois subtils et audacieux. Ainsi est mis en valeur son rôle au sein des Twelve Clouds of Joy d’Andy Kirk, une formation trop méconnue de nos jours mais qui connut en son temps un succès des plus mérités.

 

Concoctée par Jean Buzelin et Jean-Paul Ricard, auteur d’un livret qui retrace sa vie et sa carrière, cette anthologie couvrant trois décennies, de 1927 à  1957, présente en trois disques un échantillonnage significatif. On y retrouve ou découvre l’auteur de mélodies souvent arrangées avec audace, interprétées en solo (Night Life, Mary’s Boogie, Lonely Moments, I Made You Love Paris), avec des formations variées, du trio au quartette et au quintette, ou encore à la tête de l’orchestre féminin qu’elle dirigea en 1945 et 1946, le Mary Lou Williams’ Girl Stars, et, en 1957, au sein du  big band de Dizzy Gillespie.

 

Sans compter la signataire de suites ambitieuses comme Signs of the Zodiac dont quatre mouvements, enregistrés en trio en 1945, figurent ici, et l’interprète inspirée de standards, comme The Pearls, de Jelly Roll Morton, Blue Skies, How High the Moon, Yesterdays, où se manifeste l’influence d’Art Tatum, ou encore le Round About Midnight de Monk dont elle donne en 1953 une version inspirée.

 

S’il fallait, mission quasi impossible tant abondent les réussites, mettre en exergue quelques enregistrements, ce seraient peut-être ceux que la pianiste réalisa fin 1953 à Paris, en compagnie du saxophoniste ténor Don Byas et qui furent publiés à l’époque dans l’album « Don Carlos Meets Mary Lou ». Encore s’agirait-il d’un choix purement subjectif et susceptible de révision, après  plusieurs écoutes – car elles sont nécessaires pour extraire tout le suc de ce coffret et en faire son miel.

 

Rien à jeter dans cette sélection qui devrait figurer dans la discothèque de tout amateur de jazz, pour peu qu’il s’intéresse à la genèse d’une musique qui ne procède pas, comme certains persistent à le croire, d’une quelconque génération spontanée. Elle est en tout point digne des réalisations précédentes de Frémeaux & Associés dont la collection Quintessence se caractérise, outre le sérieux et la pertinence des choix,  par une qualité technique irréprochable.

 

Jacques Aboucaya

 

Mary Lou Williams the First Lady in Jazz 1927-1957, un coffret de 3 CD, Frémeaux & Associés, distribution Socadisc, 2014

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