Michel On Air. Une célébration de Michel Petrucciani

Qui ne connaît, au-delà du cercle des amateurs de jazz, Michel Petrucciani ? Il fut l’un des musiciens les plus médiatisés de son époque. Pour son talent, bien sûr, mais aussi, parfois, pour de mauvaises raisons : son handicap physique qui suscitait un voyeurisme malsain, rendait improbables sa vigueur, son brio, son humour et cette joie de vivre émanant de la moindre note tirée de son piano. Déjà quinze ans qu’il a disparu. Il venait d’avoir tente-six ans. Son talent d’instrumentiste, mais aussi de compositeur, lui avait valu une réputation internationale que quelques-uns de ses aînés pouvaient lui envier. Faut-il rappeler qu’il mena une carrière fulgurante, côtoyant de grands musiciens américains, se produisant sur les scènes du monde entier, enregistrant de nombreux disques dans des contextes divers et à la tête de son propre trio. Virtuosité étincelante, sens du swing, des dynamiques et de la mélodie, toucher incisif et puissant. Pour l’anecdote, il fut le premier musicien non-américain à signer sur le prestigieux label Blue Note. Une référence qui vaut tous les commentaires.

 

Il n’était donc que justice de rendre hommage à ce Méditerranéen, né à Orange, fils d’un Napolitain lui-même musicien de jazz, élevé dans une région qui avait, à l’évidence, donné à ses compositions des couleurs et une chaleur particulières. Un accent. Cet hommage ne pouvait être le fait que de musiciens en parfaite empathie avec lui. Non seulement avec sa musique, mais avec l’univers coloré dans lequel avait baigné son enfance. C’est le cas de ce quartette où se côtoient des Italiens et un Français. Composé de musiciens qui entretiennent les uns avec les autres des liens étroits.

 

Fabrizio Bosso, distingué sur la scène italienne dès 1999, est à l’heure actuelle, avec ses compatriotes Paolo Fresu et Flavio Boltro, l’un des meilleurs trompettistes européens, recherché par des Américains de l’envergure de Charlie Haden, Carla Bley ou Dave Liebman. Nourri de toute l’histoire du jazz, il se situe dans la lignée des pionniers du hard bop, les Clifford Brown et Freddie Hubbard. Sa sonorité chaleureuse et son art de l’improvisation en font l’interprète inspiré d’une musique empreinte d’allégresse. Ce qui ne signifie nullement qu’elle est dénuée de profondeur. Au contraire, un certain sens du tragique affleure au détour de quelques phrases.

 

Le trio qui l’accompagne est, en tous points, digne de lui. Le pianiste Alessandro Collina fait carrière en Italie et en Europe après des études de jazz au conservatoire de Nice. Fondateur d’un trio avec les deux frères de Michel, Louis et Philippe Petrucciani, l’un guitariste, l’autre contrebassiste, il fait, en quelque sorte, partie de la famille. En outre, accompagnateur, lui aussi, de jazzmen américains lors de leurs tournées européennes. Ce qui est aussi le cas de Marc Peillon, contrebassiste puissant au tempo immuable qui a joué avec tout ce que la Côte d’Azur compte de musiciens de jazz, mais aussi avec des Italiens, les saxophonistes Max Ionata et Matia Cigalini. Quant au batteur Rodolfo Cervetto, son expérience s’étend du jazz traditionnel à l’orchestre symphonique en passant par le trio. On ne compte plus ses collaborations tant avec ses compatriotes, tel Stefano Di Battista, qu’avec des musiciens d’Outre-Atlantique, Gary Bartz, Benny Golson ou Paul Jeffrey, entre autres.

 

Le plus remarquable dans l’aventure, c’est que chacun reste lui-même, sans chercher à faire du « la manière de », comme disait Céline. Sans que cette liberté de mouvement nuise en quelque manière à la cohésion du trio, base d’envol idéale pour le trompettiste. Lequel pare des plus vives couleurs la musique de Michel Petrucciani. Elle fournit l’essentiel du répertoire, du lancinant Cantabile à I Wrote You A Song en passant par Play Me, Guadeloupe, ou encore Brazilian Like, témoignage de la dilection du compositeur pour les thèmes et les rythmes d’Amérique latine. Pour faire bonne mesure, deux standards qui contribuèrent l’un et l’autre au succès du Duke Ellington Orchestra, Take The A Train de Billy Strayhorn, qui fut longtemps le morceau signature de l’orchestre, et In A Sentimental Mood de Duke lui-même. Un album à recommander sans réserve.

 

Jacques Aboucaya

 

Alessandro Collina, Rodolfo Cervetto, Marc Peillon, Fabrizio Bosso, Michel On Air. 1 CD Pepita Musiques et Cultures, enregistré à Gènes en octobre 2013, distribution EGEA/ITI Records. 

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