Jazz : Petit panorama de fin d’année 2014

Depuis quelque temps, le disque est en crise. Singulièrement le disque de jazz. Concurrence d’Internet et du MP3 grâce auxquels l’écoute et le téléchargement de musique sont devenus un jeu d’enfant. Pléthore d’artistes. Diversification extrême des styles rendant les contours du genre de plus en plus flous, au risque de dérouter l’amateur. Pourtant, le CD, dont la mort est annoncée depuis longtemps, fleurit toujours, et même avec une profusion jamais atteinte. Corollaire, la multiplication des disques autoproduits, conséquence de la difficulté à trouver un label et un diffuseur ayant pignon sur rue. De plus en plus de musiciens ont recours à cet expédient et proposent leurs albums à la fin de leurs concerts.  Pas seulement des inconnus qui peinent à se faire un nom, mais des artistes éprouvés. Renaissance ou chant du cygne ? Difficile de trancher nettement. Toujours est-il que le panorama qui suit est loin d’être exhaustif. Une promenade en liberté parmi quelques disques parus ces derniers mois et qui, tous, présentent, à un quelconque titre,  un intérêt.

 

Et d’abord, A Hum du Thierry Ollé Triorg (www.thierryolle.com ). J’ai déjà eu l’occasion, ici même, de célébrer le talent d’un pianiste dont chaque nouveau disque confirme qu’il est l’un des meilleurs de sa génération. Le revoici, mais dans une formule entièrement renouvelée puisqu’il a troqué le piano pour l‘orgue Hammond et changé – destin oblige… –  de partenaires. La matière, essentiellement des compositions originales, a changé elle aussi, et le style, résolument tourné vers le funk et le blues, voire le rock, avec un indéniable parfum jazz. A l’orgue, le leader s’inscrit dans la grande tradition des maîtres de l’instrument, de Jack McDuff, qu’il rappelle en plus d’une occurrence, à Eddy Louiss auquel il rend hommage (A Louise). Il consacre aussi une belle mélodie (Les Jours heureux) à son ami et complice le contrebassiste Serge Oustiakine, récemment disparu. Un album d’autant plus attachant que le groupe, homogène, compte d’excellents solistes, à commencer par le leader lui-même et le trompettiste Nicolas Gardel, invité sur trois morceaux.

 

Champian Fulton, pour sa part, joue du piano et chante. C’est déjà une vedette confirmée non seulement dans son pays, les Etats-Unis, mais en Europe où elle a déjà effectué avec succès plusieurs tournées et qu’elle s’apprête à retrouver au printemps prochain. Son tout dernier disque, Change Partners (www.likeasoud.com), enregistré en public il y a juste quelques mois, est digne des précédents. A savoir qu’elle donne sa pleine mesure comme pianiste nourrie de toute l’histoire du jazz, en particulier de Red Garland, avec de fugitives réminiscences d’Erroll Garner, moins perceptibles toutefois que dans ses albums précédents. Dotée d’une solide main gauche, elle possède un swing que l’on pourrait dire naturel. A l’instar de sa voix, bien timbrée, dont elle use avec des nuances lui permettant de faire siens des standards éprouvés tels que le Change Partners d’Irving Berlin, qui donne son titre à l’album, ou encore Afetr You’ve Gone, Lover Come Back To Me et le truculent It’s A Sin To Tell A Lie, de Fats Waller. Au sein du quartette qui lui donne la réplique, un bon saxophoniste ténor, Cory Weeds, auteur de quelques interventions tranchantes.

 

Champian Fulton a eu pour partenaire, il y a peu, le contrebassiste  Gilles Naturel pour What A Difference A Day Made, enregistré en France en mars 2014. C’est un des accompagnateurs les plus demandés de la scène du jazz, mais ses talents ne se bornent pas à fournir un soutien d’une solidité à toute épreuve aux solistes qu’il accompagne. Le Contrapuntic Jazz Band, sextette qu’il dirige, compte dans ses rangs  certains des meilleurs musiciens actuels et le bassiste lui-même se révèle improvisateur brillant dans Act 2 (Space Time Records/Socadisc), sa seconde réalisation.  Sans parler de ses talents de compositeur flirtant avec la musique classique et contemporaine (Carême à Belleville, Sous une feuille) et d’arrangeur subtil de standards aussi éprouvés que Body And Soul et le Jitterbug Waltz de Fats Waller. Il faudrait aussi mentionner un  Donna Lee de Charlie Parker qu’il parvient à renouveler de fond en comble. Attachant d’un bout à l’autre, émaillé de trouvailles qui maintiennent l’oreille en éveil, voilà un disque qu’il ne faut rater sous aucun prétexte.

 

Autre bassiste chef d’orchestre et des plus prometteurs, Nicola Sabato qui signe avec son quartette un album équilibré, faisant une large place aux standards mais incluant aussi deux compositions originales qui ne sont pas dépourvues de séduction. Ce Cruisin’ With The Nicola Sabato Quartet (www.nicolasabatojazz.com) retient notamment par la complicité entre le leader et le guitariste Dano Haider. En découle une stimulation réciproque à laquelle participent, outre le pianiste, les deux excellents batteurs qui alternent selon les plages, Sylvain Glévarec et Benjamin Hénocq.

 

Sans prétendre, bien entendu, à l’exhaustivité, je voudrais enfin signaler Biches Bleues (www.heavenlysweetness.com) que signe en quintette le pianiste Florian Pellissier, à la fois ancré dans la tradition du hard bop et témoignant d’une fraîcheur réjouissante. Et, pour finir, un disque qui mêle allègrement, suivant la tendance actuelle,  plusieurs genres et styles, jazz, soul, rap : celui de la chanteuse Lisa Spada «Family Tree » (Plus Loin Music/Abeille Musique)  qui devrait séduire un public plus large que celui des seuls amateurs de jazz.

 

Jacques Aboucaya

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