L’Argentine, invitation à un voyage

Dans cette immensité – le pays est grand comme environ cinq fois la France – quelques points de repères de tous ordres, classiques, utiles à l’heure des pauses ou dans les dîners: Ushuaia, le tango, la Pampa, Maradona, la viande grillée, forcément délicieuse. Au-delà, pour un moins grand nombre, des notions plus précises, en principe historiques : la dictature ou son autre nom de Junte, Perón, les Malouines. En poussant encore, viennent la Patagonie, Jorge Luis Borges, Carlos Gardel qui a chanté comme nul autre la sensualité du tango et dont le lieu de naissance est toujours controversé, Che Guevara qui naît en 1928 à Rosario, les Andes bien sûr et les gauchos. Un cran au-dessus encore, pour les initiés et les amoureux de l’Amérique latine, le Rio de La Plata, cinq pays frontières, un général qui aimait la France appelé José de San Martín, les pauvres cartoneros qui recyclèrent à peu près tout pendant la crise économique de 2002. Les autres références sont plus rares. Une constante : l’accueil chaleureux qui est réservé aux touristes français qui entreprennent le long voyage et reviennent avec des souvenirs magnifiés par l’étonnante énergie des gens, leur amabilité, les ressources incroyables et multiples de cette nation encore neuve. Des lacunes donc, mais beaucoup de curiosité envers cette République peuplée d’ « Italiens qui parlent espagnol et vivent comme les Anglais ». Les clichés circulent et leurs contraires aussi. L’Argentine est une nation si éloignée de nous par la distance que bien la connaître exige des informations et des images nouvelles. Pour les unes et les autres, le livre de Nicolas Kugler offre un excellent panorama et des perspectives inédites. Son objectif capte ce qu’il y a de meilleur et de plus saisissant parmi les sites reculés et peu visités. Argentin, amoureux de son pays, pèlerin des glaciers comme des steppes, il réunit dans cet ouvrage l’essence même de cette terre lointaine, sanctuaire de la nature, à la faune variée, extrême par ses montagnes qui culminent avec l’Aconcagua à près de 7000 mètres. Lentement, il traverse chaque région, les parcourt au pas. Du nord au sud, sur des milliers de kilomètres, il révèle sous son objectif ce qui semble ne jamais s’achever sinon sur le rêve pratiquement inaccessible de la Terre de Feu, pointe inversée de notre monde occidental.


Réduire un pays à sa capitale est une tentation commune. Si Buenos Aires à l’évidence joue un rôle majeur et abrite des merveilles architecturales et culturelles, les autres villes n’en sont pas pour autant privées et encore moins certaines localités qui protègent avec raison leur héritage colonial, comme Salta. Mais sans aucun doute, ce qui attire le plus et donne une impression de continent à lui seul tant sont puissants les contrastes, est cet espace dilaté à l’infini, inexploré, livré aux seuls caprices géologiques, aux fantaisies de l’érosion, aux harmonies de la flore. Les photos montrent à l’envie ces oppositions qui sont le charme des cheminements librement improvisés hors des tours organisés. Les collines rouges de la gorge de Cafayate se découpent sur un fond de montagnes violettes, des vignobles s’alignent aux pieds des cimes enneigées, des manchots royaux déambulent sur une plage subantarctique, doucement baignée d’une clarté solaire oblique. Si l’Europe a naturellement joué un rôle fondateur dans la construction de l’Argentine, il ne faut pas oublier et méconnaître le legs des indigènes qui habitaient sur ce sol avant la conquête espagnole. La langue quechua a enrichi notablement le castellano. Les influences latines dominent, mais les liens avec l’Angleterre ont également façonné ce visage particulier des habitants, à la fois tellement proches de leurs voisins et pourtant si différents.

Il est très appréciable que dans ce genre de livre d’abord conçu pour l’œil et de ce fait une invitation au plaisir d’admirer des visages, des paysages, des animaux sauvages, les données qui en font des outils de travail s’entremêlent intelligemment aux vues sur papier glacé. Que ce soit sur le passé, comme la place tenue par les Jésuites par exemple, sur les équilibres sociaux à chercher entre les provinces et la capitale qui domine à tous égards le reste, sur les problèmes environnementaux futurs, le texte permet de mieux comprendre les enjeux d’hier et de demain. L’auteur décrit véritablement son pays, en prenant position, en citant les noms oubliés de ceux qui ont participé à sa légende et sa vérité.


L’Argentine devient une destination chaque année plus convoitée. Le tourisme est là-bas un champ neuf, qui allie la découverte des somptuosités naturelles à la richesse des contacts humains. Ce livre n’est surtout pas un guide. Il ne donne pas d’adresses, il ne fournit pas d’horaires. On ne l’emporte pas, heureusement, dans son sac à dos. On le lit même si les billets de vol ne sont pas encore achetés. Il a une autre prétention. On le lit pour comprendre mieux une réalité étrangère. Il se veut à la fois témoignage et appel à un partage. Mal connue à l’extérieur, voici l’Argentine vue de l’intérieur, à partir d’une passion authentique et d’un savoir éprouvé.


Dominique Vergnon


Nicolas Kugler,
Argentine, 200 photos couleurs, 27x32,5 cm, Vilo, octobre 2012, 240 pages, 41 euros.

1 commentaire

Pays sublime, votre critique me donner juste envie d'y retourner ! Il me faudra sans doute me contenter du livre pour le moment...