L’orchestre (noir) sans chef

                   


Résultat de recherche d'images pour "Organisations, mouvements et partis des droites radicales au XXe siècle (Europe- Amériques"L’ultime recueil rapportant les travaux menés par le groupe de recherche IDREA (Internationalisation des Droites Radicales. Europe / Amériques) porte sur les organisations, mouvements et partis des droites radicales. Le volume, bien qu’il soit plus mince que les trois précédents, rassemble à nouveau de substantielles études sur la diffusion des radicalités droitistes, à dimension groupusculaire, nationale ou continentale.

La première mise au point consiste à préférer au terme « internationalisme » (fortement connoté par le trotskysme) celui de « transnationalisme », quand il s’agit d’évoquer l’expansion des formations d’extrême droite hors de leurs frontières originelles. Car si le premier mot nous ramène à la fusion des peuples en un même creuset idéologique, le second mise sur la circulation des visions et des modes d’organisation qui se voient appliqués, recyclés, transposés, dans chaque pays selon ses propres présupposés. Ce troc sémantique permet d’approcher la question sous tous ses angles, jusqu’à ses exemples les plus souterrains. Ainsi Humberto Cucchetti éclaire-t-il l’impact, bel et bien existant malgré son peu d’amplitude, de l’Action française post-68 en dehors de l’univers politique et intellectuel hexagonal, tandis que Valérie Igounet et Pauline Picco étudient la récupération indéniable, mais non revendiquée, de la flamme du Movimento Sociale Italiano par le Front National.

D’emblée donc, le cadre français déborde vers le Sud, mais aussi vers la Belgique. L’étude de Nicolas Lebourg fait le point de manière très complète sur le méconnu Jean Thiriart, fondateur et guide de Jeune Europe puis, début des années 90, du Front européen de Libération. Ces deux organisations, aussi marginales qu’influentes, servaient un même projet : « construire une théorisation et une pratique du politique qui soient une géopolitique ». Thiriart sera cette figure omniprésente sur les divers fronts radicaux de droite : de belgiciste colonialiste, soutien actif des membres de l’OAS, anticommuniste et participant en mars 1962 à la réunion de Venise, où il fut décidé de fonder un véritable parti nationaliste européen, Thiriart se fera virulemment antiaméricain et anti-impérialiste, multipliera dès lors les contacts avec le monde arabo-musulman, s’intéressera de très près à la puissance chinoise, et ira jusqu’à voir dans le communisme un exemple à suivre, du moins en matière d’encadrement des masses. Le « national bolchevisme européen » est né de cette contradiction ; il en sera à terme la victime, puisqu’il ne parviendra jamais à résoudre les incohérences de fond qui le travaillent.

Stéphane François, en expert des subcultures droitières de tous horizons, explore quant à lui le paganisme raciste américain, souvent revendiqué par des lunatics fringes (des marginaux et des excentriques). L’intérêt de ces individus est justement d’illustrer comment, dans des formations ultra-contemporaines, viennent s’intégrer des éléments issus de l’anthropologie nazie, du tribalisme völkish, bref, de tout un arsenal référentiel et symbolique que l’on croyait circonscrit au monde germanique. Le dépassement des frontières s’explique ici par le projet pan-aryen qui guide ces groupes, visant à l’instauration d’une « internationale blanche ». Le voyage se poursuit avec des contributions de Miguel Perfecto (sur les connexions et transferts entre les droites radicales et fascistes d’Argentine et d’Espagne), de Riccardo Marchi (sur les stratégies identitaires au Portugal, telle celle du mouvement Terre et Peuple), d’Hugues Théorêt enfin (sur l’histoire du PUNC, Parti de l’Unité Nationale au Canada, de 1949 à 1967, soit l’année de la mort de son fondateur, le fameux leader autoritaire Adrien Arcand).

Dans son introduction, Olivier Dard répond à la question qui fut à la base des réflexions d’IDREA, à savoir la détermination de l’existence ou non d’une « Internationale noire » sur le plan historico-politique, et plus uniquement fantasmatique. Ce « spectre », écrit-il, « ne résiste pas à l’examen et, au contraire, les tentatives organisationnelles pour constituer [l’internationale noire] ont été autant d’échecs. Il n’en demeure pourtant pas moins que les droites radicales au XXe siècle, sont très loin d’être des univers clos et repliés sur leurs propres sociétés. » Olivier Dard en vient à conclure que ce qui manqua réellement à l’orchestre noir pour devenir une philharmonie, ce ne fut ni la volonté, ni les idées fédératrices, ni les symboles, mais simplement un chef capable d’en diriger les solistes et d’en unifier les dissonances…

Frédéric SAENEN

Olivier DARD (direction), Organisations, mouvements et partis des droites radicales au XXe siècle (Europe-Amériques), Peter Lang, 210 pp.

Aucun commentaire pour ce contenu.