Ecrire le désir, 2000 ans de littérature érotique féminine

Pour le plus doux ébat que je puisse choisir/Souvent, après dîner, craignant qu’il ne m’ennuie,/Je prends le manche en main, je le tâte et manie,/Tant qu’il soit en état de me donner du plaisir... (Madeleine de l’Aubespine , dame d’honneur de Catherine de Médicis, Le Luth, vers 1565)



La belle et alléchante  anthologie  illustrée Ecrire le désir proposée par  l’historienne Julia Bracher  embrasse quelque 2000 ans de littérature érotique féminine, de Sapho en 600 avant JC jusqu’à l’incontournable Histoire d’Ô de Pauline Réage  en 1954.


L’intérêt de cette anthologie est double :  d’une part elle nous fait découvrir de  nombreuses auteures  jamais évoquées ailleurs et donc des textes inconnus ainsi que des tableaux et

illustrations rares,  et ça, c’est vraiment réjouissant  pour ceux qui ont déjà beaucoup lu en la matière, et d’autre part, elle dépeint fort bien  l’histoire clandestine de la femme désirante,  cette femme qui ose prendre la plume – sous pseudonyme souvent masculin – pour affirmer sa sexualité loin de la fonction reproductive à laquelle elle était priée de se contraindre. 

Il est d’ailleurs amusant et significatif de noter que Louise Labé aussi bien que Pauline Réage, à cinq siècles d’écart furent  également soupçonnées d’être des hommes, comme si tous ces messieurs ne pouvaient admettre qu’une femme puisse désirer, avoir des fantasmes, prendre du plaisir, le revendiquer  et l’écrire de façon crue. 

Ainsi par exemple Le roman de Violette, texte saphique paru en 1885  a été attribué à Alexandre Dumas père alors que l’auteure en est Mme H.Leblanc, marquise de Mannoury, alias la Vicomtesse de Coeur-Brûlant : 


La comtesse, ramassée sur ses genoux, les fesses bien assises sur ses talons, suivait de son corps tous les mouvements du corps de Violette, ses reins avaient alors des soubresauts adorables et le désir lui donnait des frémissements de jouissance à jurer qu’elle ne perdait rien à être active et peut-être même qu’elle y gagnait quelque chose…


Certes, ces anonymes audacieuses fort discrètes furent peu à exprimer ce qui les animait puisque selon les mœurs de l’époque, la censure, l’opprobre et surtout de vrais dangers  venus de l’église les guettaient mais leur voix portait celles de toutes leurs sœurs muettes pour évoquer le plaisir qu’elles prenaient à pratiquer  ou a rêver l’onanisme, le saphisme, la domination féminine ( par ex Anna de Noailles) et d’autres fantasmes beaucoup plus corsés comme la zoophilie racontée avec une telle presque candeur  par l’allemande Wilhelmine Schroeder-Devrient (19ème) que l’érotisme qui s’en dégage en est incandescent.

C’est d’ailleurs le cas de  la plupart de ces textes à (re)découvrir , qu’ils soient simplement sensuels ou  carrément obscènes, ils sont à la fois d’une authenticité et d’une fraîcheur très efficaces loin de toute surenchère artificielle ; ces auteures  ne cherchent pas à faire érotique mais disent sans emphase et avec un certain talent comment elles veulent aimer et se servir de leur corps, sans aucun tabou.


On pourrait s’étonner de trouver tant de ressemblances entre ces femmes que des siècles séparent. Et si  Simone de Beauvoir  intellectualise l’Eros en voulant en faire une arme sociale et féministe, toutes  dans cette anthologie  se sont appropriées leurs corps et ont assumé leur désir dans un monde qui leur était hostile. De l’Amour courtois (les balbutiements de l’affirmation de la  condition féminine) aux Années Folles, même si la façon de dire diffère, même si les mots de l’amour, du sexe et du corps ont des usages différents, toujours ces femmes ont eu le désir du plaisir et du jeux amoureux et sûrement plus follement que les hommes, en tous cas en bravant les interdits avec joie et exaltation, une posture fortement érotique qui  manque aujourd’hui puisque tout est autorisé et exploité commercialement.


Julia Bracher replace ces textes dans leur contexte historique et nous livre en préambule des anecdotes sur les conditions dans lesquelles l’auteure les a écrits. Que ce soit au Moyen Âge, au Siècle des lumières finalement assez puritain, au XIXème ou au début du XXème,  écrire sans détour ce que femme désire, rêve et veut, voilà bien la gageure de ces  courageuses diablesses qui savaient alors ce que la transgression voulait dire.

Ce qui scandalise finalement les bonnes âmes, c’est que ces femmes qui écrivent la volupté sont plus des épouses qui savent jouir  que des putains qui savent écrire, des marquises, des comtesses, plus tard des journalistes, des bourgeoises féministes et non des demi-mondaines ou des filles de joie.

  

La plupart du temps passée sous silence et alors qu’on n’évoque les premières publications de textes érotiques féminins qu’avec Régine Deforges, Julia Bracher présente Henriette Doucé, la toute première éditrice de livres érotiques «  la première qui ait imaginé mettre de l’argent dans la fabrication de livres obscènes et d’en vanter les charmes aux amateurs du genre » . Certes, elle resta en retrait et brouilla les pistes en associant son nom à celui de son mari « Messieurs Gay et Doucé » pour fonder la maison d’édition à Bruxelles en 1877, mais elle  en fut  bien la pionnière.

 

S'il est dommage qu'encore une fois un ouvrage sur la littérature érotique ne s'aventure pas  au-delà d'Histoire d'Ô  sur le chemin  des écrits contemporains (hormis le commercial 50 Nuances dans quelques essais) comme si ces voix féminines du 21e siècle  à nouveau rebutaient...il n'en reste pas moins vrai qu'Ecrire le désir  s’inscrit  vraiment dans l’Histoire des femmes, nul ne  peut se dispenser de découvrir  ce territoire intime que les femmes se sont approprié avec tant de folle audace en bravant tous les dangers.  Parce qu'il ne s’agit pas que de sexe, c’est dans le ventre des femmes et dans celui des hommes que s’enracine  la force de vie. 


Enfin,  au-delà de la nécessaire connaissance des femmes et de leur histoire commune,  s’il est vrai que la littérature érotique n’est que contes de fées pour ravir les adultes,  alors pour ce seul plaisir, plongez-vous dans cet univers féminin à la charge érotique bien agréable et ravissez-vous, ravissez-vous…

 

Anne Bert


Sur le même thème, ma chronique sur  Eros au féminin d'Alexandra Destais ainsi qu'un débat radiophonique auquel j'ai participé sur l'érotisme féminin depuis Louise Labé  jusqu'à aujourd'hui ( à partir de la 33ème minute sur les auteures contemporaines) 


Iconographie : Couple d'amoureux de Boucher, et Le Baiser de Rodin.


Julia Bracher, Ecrire le désir, Editions Omnibus, décembre 2014, 237 pages, 39 euros.

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