Jean-Jacques Nuel et la Terpine Gonnon

Jean-Jacques Nuel est le maîtres des histoires expéditives, des contes décalés et parfois vrais, de vignettes altières. Les saynètes en raccourcis du Mouton Noir remonte l’histoire de l’auteur en quelques sauts par forcément significatifs mais drôles. L’on voit par exemple  Nuel en sa période tibétaine (au sein « de sa quête incessante de spiritualité »…) boire « du thé salé au beurre de yack rance ». Ce qui fut un exploit : à Lyon les Yacks sont rares « même au parc de la Tête d’or ». Avec légèreté, le poète nous rappelle à notre pesanteur en transformant son quotidien en spectacle. Par infiltration s’établit une dialectique à travers un homme - contrairement à celui de Musil -  plein de qualités.


Chaque anecdote articule une approche faussement exacte, imaginairement rigoureuse. Par l’intermédiaire de son propre cas l’auteur accorde à la comédie humaine tout le dérisoire nécessaire. Le livre devient une petite machine à couper le temps et à le réunir de manière primesautière. Chaque texte est soit un court métrage lent où tout est en mouvement soit un clip littéraire expédié où tout semble immobile. Nuel une fois de plus prouve qu’une idée ne peut exister sans son contraire. La vie est sauvée par l’oxygène de l’écriture (et plus rarement par son azote).


Avec facétie l’auteur apprend aussi à se situer plus au dedans du réel qu’en dehors.  Entre l'ellipse - tournée vers le silence - et l'énoncé complexe - tourné vers la parole - le poète reste toujours  « en campagne ». Comme lorsqu’il  tentait de vendre ses opuscules sur les marchés « au milieu des vendeurs de saucissons, de pâtés de sanglier, de miel et de fromage ». Il finissait par s’en tirer en complétant ses ventes rares par celles d’eau de vie du terroir. Désormais, et en cas de problème,  la  poésie aujourd’hui - comme la « Terpine Gonnon » hier - permet de fluidifier les sécrétions et favoriser l’expectation.


Jean-Paul Gavard-Perret


Jean-Jacques Nuel, « Le Mouton noir », coll. Trait court, Passages d’encre, Moulin de Guern, 5 €, 2014.         


Aucun commentaire pour ce contenu.