L’île insurgée et son goût de saké

La revue Passage d’encres propose un voyage au cœur du Japon, de ses mythes et des ses stéréotypes revisités. Certains textes remontent l’amont, gagne des sources perdues de la mémoire et du rêve à travers artistes et écrivains japonais mais aussi d’occident qui parfois ne connaissent le Japon qu’à travers leur imaginaire (Superbe texte de Pascal Vimenet « Mon Japon »). Surgissent de multiples résonnances, une constellation d’éléments d’un pays qui fut défini naguère par Jean-Dominique Rey tel « un sexe horizontal qui sourit dans son propre miroir »…Les œuvres réunies dans « Soleil Levants » semblent plus conformes à une réalité ouverte en une diversité de fragments. Une résistance à un conformisme d’images est évident : Atsuko Nagai (coordinateur de l’ensemble) souligne par exemple l’importance d’un poète tel que Kaménusuké Ogata qui se voulut « médiocre et faible » pour faire contrepoids aux ordres d’un pouvoir belliqueux.

 

L’ensemble n’occulte pas les réalités contemporaines (tsunamis, catastrophes nucléaires prouvent que le progrès mérite bémols et dièses) mais n’oublie pas certaines images-mères tout comme leur contrepoint que sut offrir le plus grand cinéaste du Japon : Ozu. Le pays possède quelque chose d’irréductible. Il ne peut se synthétiser en quelques mots. D’où l’importance de ce kaléidoscope où la présence au monde est faite d’un écart entre la beauté de la nature et ce qui la tue par ce qu’Andoche Praudel dans un des plus beaux textes de ce corpus nomme « la pulsion de prévarication ». A ce titre le Japon n’échappe pas à la règle commune. C’est pourquoi il ne faut pas prendre « Soleils levants » pour un ensemble exotique. Beaucoup de textes résonnent comme une mise en garde planétaire. Preuve que les paysages dévastés de Fukuyama ne sont pas dernière nous. Nul ne peut en retenir la lumière une fois le ravage passé. Mais le Japon reste le refus absolu du renoncement. Ses créateurs rappellent qu'en surgissant de l’eau la matrice de la terre les a bordés comme elle nous borde. Pour combien de temps encore ? 

 

Jean-Paul Gavard-Perret


« Soleils Levants », Hors série, Passage d’encres, Guern, 20 €, 2014.


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