"Une promesse" Leconte adapte Zweig

Cet obscur trajet du désir

 

Patrice Leconte porte à l’écran, sous le titre Une Promesse, la nouvelle de Stefan Zweig le Voyage dans le passé. Comme l’héroïne de l’histoire, cette adaptation est une belle infidèle on ne peut plus fidèle.

 

Dans l’un de ses textes théoriques sur le théâtre, Marcel Pagnol a développé l’idée suivant laquelle la question qui est au cœur de toute intrigue se résume à deux mots : « Baiseront-ils ? » Il y a sans doute dans ce principe quelque chose d’un peu trop catégorique — pour certaines pièces de Pagnol lui-même, telles que la Femme du boulanger, il faudrait plutôt dire : « Baiseront-ils de nouveau ? » —, mais c’est bien cette question toute simple, « Baiseront-ils ? », qui se pose, telle quelle, dans le nouveau film de Patrice Leconte, Une Promesse, inspiré librement, mais bien moins librement qu’on ne pourrait le croire, de la nouvelle de Stefan Zweig le Voyage dans le passé.

 

Le mari, la femme et l’amant. Comme d’habitude. A ceci près que l’amant n’est que potentiel. Comment pourrait-il passer à l’acte, ce jeune homme, puisqu’il doit tout au mari ? Issu d’un milieu modeste, il devient rapidement l’homme de confiance d’un capitaine d’industrie. La mauvaise santé de celui-ci l’empêchant de se déplacer, le jeune homme est amené à venir s’installer chez lui. Et, évidemment, il fait la connaissance de l’épouse, jeune, vive et belle. Regards, frôlements, gestes esquissés peut-être, mais rien ne se passe. Ironie du destin : le patron a tellement confiance en son homme de confiance qu’il va l’éloigner. Il lui confie la mission d’aller mettre en place une annexe de son entreprise au Mexique. Le jour de son départ, le jeune homme avoue son amour à la jeune femme. Amour partagé. Mais tous deux décident, d’un commun accord, qu’ils ne passeront à l’acte que lorsqu’il reviendra, deux ans plus tard. De fait, il reviendra, mais sept ans plus tard, parce qu’entre-temps est survenue la guerre — la Première Guerre mondiale — qui l’a empêché de rentrer en Allemagne. Et, si rien ne s’oppose désormais à la réalisation de la promesse, puisque la maladie a eu raison du mari, il n’est pas sûr que le désir charnel,  que la flamme amoureuse ne soit pas éteinte. Comme se sont forcément refroidies les coulées de métal incandescentes que nous avons vues au générique en découvrant l’usine.

 

Dans les dernières pages de la nouvelle originale de Zweig, les deux amants entrent dans un hôtel pour réaliser leur promesse, mais l’aspect sordide de la chambre qui leur est proposée les conduit à sortir pour aller « prendre l’air », dans un parc solitaire et glacé très explicitement et désespérément verlainien. Et les choses s’arrêtent là. Leconte, jugeant cette fin trop triste, a ajouté, dans le plan final, l’esquisse d’une étreinte entre les deux amants : leur amour ne devrait donc pas rester platonique.

 

Trahison peut-être inutile. Car la conclusion de Zweig était sans doute déjà, à sa manière, porteuse d’espoir. Paradoxalement, en ne passant pas à l’acte, les deux amants de la nouvelle retrouvent la complicité tacite qui était la leur sept ans plus tôt et triomphent du temps, peut-être même au-delà de la mort, car il n’est pas exclu qu’ils ne soient plus que des spectres.

 

Leconte se trompe sans doute un peu quand il explique qu’Une Promesse n’est pas tant une interrogation sur la permanence de l’amour que sur la permanence du désir amoureux. En fait, le désir est là, toujours là, mais la question est de savoir s’il a encore les moyens de se réaliser. Si Une Promesse pose aussi ouvertement cette question en termes sexuels, c’est qu’elle n’est probablement qu’une métaphore de notre désarroi général face aux ravages de la Grande Horloge. Nous ne sommes pas loin de penser qu’Une Promesse pourrait bien être un film autobiographique. Il y a cinq ans, Leconte criait à qui voulait l’entendre qu’il allait prendre sa retraite ; qu’il ne voulait pas faire « le film de trop », cette fausse note qu’on trouve trop souvent dans la filmographie de certains grands réalisateurs américains. Bien entendu, il n’a pas tenu sa promesse, et a continué de tourner comme un beau diable. Toute cette énergie, cependant, était vouée à des scénarios entièrement construits sous le signe de la décomposition : les Bronzés 3 marquaient la désagrégation définitive d’une amitié, puisqu’ils révélaient que cette amitié n’avait jamais vraiment existé ; le Magasin des suicides tournait évidemment autour de la mort. Une Promesse est tout le contraire de cette descente aux Enfers ; elle n’est pas sans rappeler la réplique finale de Paul Newman dans la Couleur de l’argent : « I’m back. »

 

Et, de fait, Leconte is back. Le Leconte élégant, fin, efficace de Monsieur Hire, de Ridicule ou de l’Homme du train. L’énergie retrouvée de ses deux héros dans son plan final n’est autre que le reflet de son énergie retrouvée. On a envie de citer ici la phrase de Mauriac : « Le secret de la vieillesse, c’est qu’elle n’existe pas », mais certains pourraient la trouver naïve. Leconte n’est pas naïf, et toutes ses retrouvailles ne sont pas heureuses. Un plan très bref de soldats ou de miliciens est là pour nous suggérer que, tout comme le héros est revenu vers la femme aimée, la Guerre aussi reviendra. La Seconde Guerre mondiale viendra « continuer » la Première.

 

Victoire dérisoire, alors ? Que représente la réunion de deux individus face aux catastrophes de l’Histoire ? Et Zweig ne s’est-il pas suicidé avec sa femme en assistant à ce qu’il jugeait être l’écroulement de la civilisation ? Peut-être se retournera-t-il dans sa tombe en voyant ce que Leconte a fait de sa nouvelle. Mais il se retournera de joie. Car, comme bien souvent, c’est dans la forme qu’il faudra trouver le fond. Résumons : Une Promesse est un film dont l’action se passe en Allemagne, mais tourné par un réalisateur français en Belgique, en anglais avec des acteurs anglais. Ce melting pot européen est comme la concrétisation des rêves du pacifiste Zweig.

 

FAL 


Patrice Leconte Une Promesse

sortie en salle 16 avril 2014


1 commentaire

J'ai bien admirée l'histoire *.*