Écrivain et journaliste Français (1905-1940), lié à la figure de Jean-Paul Sartre et au Parti communiste français

Paul Nizan, le destin d'un révolté

Quand les chars soviétiques entre en Pologne, en 1939, Paul Nizan (1905-1939), intellectuel encarté, journaliste porte-parole du Parti communiste français, rend sa carte, et fait savoir publiquement son désaccord. Son communisme se brise là, sur un accord Hitler-Staline qu'aucun autre dirigeant ne reniera…


Il faudra attendre la préface de son ami d'Ecole normale supérieure Jean-Paul Sartre à la réédition du mythique Aden Arabie (1964) pour que la réhabilitation commence, pour que l'opprobre s'adoucisse et que l'on admette, au sein même du plus sectaire de partis politiques, que la liberté individuelle n'est pas nécessairement inféodée au diktat du Polit Buro. Les mots de « traître » et de « hyène », qui sentent l'inspiration démocratique, restent longtemps attaché à sa figue, « payée » comme plus tard Sartre par la droite — entendez les salauds — pour espionner le Parti — entendez les gentils. Car Nizan, s'il s'est engagée dans la voie du communisme, c'est que nul autre parti n'est alors capable de répondre à la nécessité féroce de la révolte qui fonde son identité. 


Pascal Ory décide de suivre le parcours de l'homme en tant qu'il est un révolté né plutôt que de le définir — comme le firent les précédents biographe de Nizan — comme un homme-pour-devenir-communiste. De cette orientation, profondément juste, naît un homme riche de ses multitudes et de ses engagements.


« La révolte n'est pas la révolution »


Nizan est un précurseur, un homme de son temps avec quelques pas d'avance, et d'abord sur ses « petits camarades » : il découvre la littérature américaine avant Sartre, l'initie également au cinéma, se comporte tout comme lui en professeur anticonformiste bloqué dans une petite ville de province en prise avec la bonne société... Si bien qu'on en vient à se demander ce que Sartre serait devenu sans l'influence de Nizan ? Car à regarder de plus près, le Sartre de l'après-guerre ressemble étrangement au Nizan de l'avant ! et il commence réellement à écrire quand son ami n’est plus là, symboliquement sans doute, même s’il avait composé La Nausée avant et que Nizan fut un des intermédiaires entre ce roman magistral et son éditeur (Gallimard). Ory ne s’y trompe pas, qui met pour ouvrir chaque chapitre une citation de Sartre…


Nizan n'est finalement d'aucun parti, sinon celui de la révolte pure, et s'il s'en engagé aux côtés du PCF, c'est qu'il n'y avait alors aucune autre alternative pour concrétiser politiquement une action qu'il sentait nécessaire au fond de lui. Nizan se cherche, cherche le moyen d'exprimer son bouillonnement intérieur : cela passe aussi, très rapidement, par un engagement auprès du Faisceau fasciste de Valois — comme beaucoup à l'époque, balayant d'une extrême l'autre le champ de l'engagement politique. Cette révolte, contre sa classe (la petite bourgeoisie ferroviaire) se nourrit d’une incroyable curiosité intellectuelle et d’une avidité de savoir, qui se fonde en grande partie sur un amour des textes classiques et de philosophie grecque. Le classique n’est jamais loin de l’homme moderne…


Nizan entre au PCF comme en une église, mais la qualité de son engagement, et sa sincérité, est aussi en réaction à son enfance petite-bourgeoise et à ses aléas politiques qui suivent les mouvements du siècles (d’une extrême l’autre : il est un temps avec le Faisceau de Valois…). Il y a un feu constant qui brûle cet engagé trop tôt sans doute, mais Nizan ne tient pas en place, il veut devancer sa propre histoire. Il fait ses preuves de militant et accède assez vite à l’appareil intellectuel du parti, à l’Humanité d’abord, puis à Commune, comme journaliste, critique littéraire et secrétaire de rédaction : « […] quand une revue songe à donner la parole à un intellectuel communiste autorisé, quand le Parti délègue l'un des siens pour intervenir sur le front des idées, c'est à Nizan que chacun pense » si bien, d'ailleurs, qu'il effectue plusieurs voyages officiels à Moscou, la Terre Sainte de tout communiste, et qu'il est responsable en 1934 de la section française de Littérature internationale. Et Gide, le compagnon de route de haute tenue, dit son impatience de le rencontrer... A Moscou, au moment des premières épurations staliniennes - quand le bon Joseph massacre ses amis proches et, les larmes sorties du cœur, en appelle au sursaut patriotique… – Nizan commence à sentir se creuser en lui les failles du doute. A l’église communiste, être aveugle aussi ? Le traître, alors, sur qui s’abattront les chiens communistes pour qui on est fidèle ou ennemi, ne pourront que faire se vider encore un peu la baudruche des lendemains qui chantent, quand la source idéologique est tarie par ceux-là mêmes qui y boivent leur succès à grandes eaux en une dictature caricaturale et ordurière ?


Qu'est Nizan ? ce jeune normalien qui rue contre ses pairs (avec un pamphlet au vitriole, Les Chiens de garde) parmi les premiers ? ce militant pour qui la réflexion personnelle et la pratique intime dépasse les diktats du commissariat central à la pensée communiste ? cet écrivain prolifique qui aura marqué par la liberté de ton et la générosité des son engagement la fracture identitaire d'une jeunesse écrasée par les pères (Aden Arabie)... A n'en pas douter, un intellectuel qui se pose toujours et avec une certaine vertu la question de définir son propre rôle, car i a conscience du rôle qu'il doit tenir, (Sartre dresse son portrait dans L'Enfance d'un chef ?) Ory dira un révolté, un trublion fait homme, un contestataire permanent de l'ordre établi en quête de sa conviction et de sa guerre. Un homme. 


« Mais il faut imaginer ce clerc en révolte : la littérature nizanienne n’est prise de conscience que parce qu’elle est d’abord "mise en accusation du monde » et par là « volonté de le changer" ». Car son œuvre romanesque est vouée à la confrontation du monde et, se nourrissant de ses expériences personnelles et de son histoire familiale, Nizan dresse le portrait de son époque dans des romans aux personnages transfigurés, qui dépassent le cadre strict du temps pour atteindre à une vérité mythique.


Cette vérité, Pascal Ory en rend compte avec intelligence et liberté, sans prétention universitaire, comme l’on conduit par la main un ami à la rencontre d’un troisième.


Loïc Di Stefano



Pascal Ory, Paul Nizan, Destin d'un révolté, Complexe, janvier 2005, 19 euros

3 commentaires

Antoine Bloyé n'étant pas cité, aucun commentaire

anonymous

Ce pétrocorien  anonyme a raison.

 On ne saurait écrire sur Paul Yves Nizan sans citer son oeuvre majeure: Antoine Bloyé. C'est dans un quartier chic de Périgueux où il a passé quelques une des années douloureuses de sa jeunesse, évoluant  entre un père volage qui accompagnait dans leurs frasques ses collègues et amis Gadz'Arts ou Polytechniciens de la Compagnie ferroviaire du P.O., une mère bigote et une ou deux jeunes filles voisines de ses parents et du même milieu ferroviaire que son père, qu'il s'est en partie construit .

 Au  sein des Ateliers du P.O. de Périgueux ce père portait  un surnom: "le sanguin". L'a-t-il jamais su? Peut être par celle qui, quelques années plus tard, a indiqué à Nizan, au moment de l'écriture d'Antoine Bloyé, les noms des personnages et des lieux du Périgueux de son époque conformes à la réalité. Est-ce  ce surnom qui a forgé cette condamnation du père et surtout du milieu qu'il incarnait? On ne le saura sans doute jamais. 

Il s'agissait de rendre compte d'un livre, sans s'étendre plus que de raison, et non pas de rendre compte de la vie de Paul Nizan lui-même