Les voyageurs romantiques

Des tons ocre, bruns et beiges qui sont ceux de la terre en contre bas des montagnes aux crêtes acérées se déploient au-dessus d’une bande bleue qui représente la mer. Adrien Dauzats (1804-1868) situe en quelques volumes appropriés et quelques taches bien gérées la côte méditerranéenne qui relie Carthagène à Almeria, rendant compte à merveille de ces paysages du sud de l’Espagne que chauffe le soleil et baignent des eaux calmes. Il voyage pendant deux années en Espagne. Ses carnets, à la fois rigoureux et charmants, d’une certaine manière topographiques et romantiques, composent ces scènes vivantes et authentiques que son œil découvre et retient pour le plaisir de son lecteur. Il accumule page à page une chronique d’arpenteur attentif et curieux qui marche, observe, retranscrit et transmet. Autant de notations prises sur le vif que l’on aimerait feuilleter une à une. Leur petit format invite en plus à un examen lent, vigilant, pas un instant déçu par ces détails qui s’ajoutent aux mouvements d’ensemble et s’harmonisent. Toutes ces régions lui sont familières. Il a aussi parcouru l’Egypte, il s’est rendu à Tanger, il connaît la France mieux que quiconque. Il a fait son autoportrait coiffé d’un turban, à la manière orientale, ce qui lui « ouvrait toutes les portes, même celles des mosquées ». Il est ami de Prosper Mérimée, il correspond avec Dumas, Delacroix vante son talent, Nadar le photographie. On peut lire dans L’Artiste de 1831 que Monsieur Dauzats fait « de forts jolis dessins à l’aquarelle, d’une couleur vigoureuse et d’une finesse qui rappellent les productions de Bonington ».

 

Au crayon, à la plume ou au pinceau, sa main semble toujours experte pour traduire la silhouette d’une ville, relater un événement, évoquer un lieu. Au sujet de son tableau Le Lieutenant général Galbois, commandant de la province de Constantine, reçoit la soumission d’El-Mokrany, Khalifat de la Medjanah en 1839,(huile sur toile de 1844), on peut signaler ici pour la justesse de la remarque ce qu’écrivait l’historien Jean Alazard, dans son live Les peintres de l’Algérie, paru en 1930 :  « Entre tous les artistes qui furent chargés de raconter les gloires militaires de la monarchie de Juillet, il y en eut un Adrien Dauzats qui se soucia plus que les autres d’exactitude et de précision. Il n’a pas, à vrai dire, dans l’histoire de la peinture africaine, la place d’un Delacroix ou d’un Chassériau. Cependant, il a laissé sur les pays et sur les types d’Algérie, quelques œuvres d’un grand intérêt et qui donnent l’impression de la chose vue simplement et justement. » 

 

Dauzats est un de ces conteurs par l’image comme les apprécie le baron Taylor dont il fait un portrait qui le présente sous un jour pour le moins inhabituel. Taylor est vêtu d’un ample costume arabe, il porte à la ceinture un sabre, il a la coiffe traditionnelle, des sandales aux pieds. Dauzats trouvera sur la pyramide de Chéops la trace du passage de Taylor, ce dernier ayant gravé sur la pierre les noms de Chateaubriand et Nodier ! Que ce soit une vue de Tolède, enserrée dans une courbe du Tage comme se plaisait à le faire Le Greco, le couvent de Sainte-Catherine dans le Sinaï, la façade de la cathédrale de Reims, Adrien Dauzats fait des paysages et des monuments d’exceptionnelles descriptions, les analyse avec acuité sans pour cela dévier vers des travaux d’architecte ou de géomètre trop rigoureux et austères. Les liens entre Taylor et Dauzats (1804-1868) ont été étroits et durables. Ils ont en effet correspondu pendant trente ans. Longtemps ce furent des relations d’amitié et de travail même si à la fin les relations se tendirent en raison de la supérieure et exigeante personnalité du baron Taylor (1789-1879).

 

Il faut aller découvrir les travaux de cet artiste. Il est en bonne place parmi d’autres confères renommés et également promeneurs avertis qui aimaient croquer sur leur passage des sites emblématiques ou oubliés, comme Viollet-Le-Duc, Eugène Cicéri, Fragonard ou encore Isabey et Taylor lui-même dont on peut voir les tableaux dans cette nouvelle exposition qui marque les 170 ans de la création de la Fondation, créée par  celui qui inventa en 1820 les fameux Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Cet ouvrage véritablement monumental auquel Charles Nodier contribua avec sa meilleure plume, constitue en quelque sorte le socle des savoirs sur notre patrimoine. Certes les guides comme Joanne et Baedecker après 1860 apporteront un nouveau regard sur l’excursion, avec des données peut-être plus scientifiques, mais sans conserver ce charme des descriptions signées par l’affection des auteurs car à côté des représentations des monuments, des notations sur les habitants et les coutumes agrémentaient les parcours. Avec raison, on a parlé à leur sujet d’encyclopédie. Taylor porta vraiment ce projet lui-même, avec passion et en marge de ses nombreuses activités de diplomate, inspecteur des Beaux-arts, philanthrope et naturellement grand « reporter » ! Sa vie est une manière de roman, celui d’un entrepreneur de talent et visionnaire dont on lit la vie et on découvre les œuvres avec admiration.

 

Dominique Vergnon

 

Juan Plazaola, Le baron Taylor, portrait d’un homme d’avenir, Fondation Taylor, 24,5x27 cm, 526 pages, édité en octobre 1989, toujours disponible, 10 euros. 

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