Souvenirs d’un galeriste

Une bonne trentaine d’histoires, brèves le plus souvent, tirées d’une longue pratique car elles sonnent en effet toutes justes, sont rassemblées dans cet ouvrage à la couverture énigmatique. Homme d’affaires, arnaqueur, maître d’hôtel, joueur, à qui appartient cet élégant buste vêtu de  noir et blanc ? En fait, au même conteur qui avec talent signe ces pages et prouve la diversité de son travail. Rien ne vaut le vécu quand on raconte ses expériences. Il n’est que de les replacer dans un contexte réel, chacun a pu le vérifier au moins une fois, pour s’en convaincre. Elles sont de plus introduites par les meilleurs appariteurs possibles, ces huissiers de jadis, que sont Charles Baudelaire, William Blake, René Char, Edgar Degas, Rainer Maria Rilke ou encore Dylan Thomas et d’autres noms célèbres. Souvenirs après rencontres, témoignages après anecdotes, couloirs de ministères après voyages, l’auteur parle, reçoit, négocie, vit en somme avec ceux qui gravitent autour de ce mot immense qu’on ne cerne jamais parce qu’il ne peut se laisser cerner, peut-être faudrait-il plutôt écrire berner: l’art. Collectionneurs, conservateurs, critiques, artistes, marchands, vrais connaisseurs et faux amateurs, ils sont les interlocuteurs directs du lecteur car Bernard Duval a le don d’inviter ce dernier au titre de témoin privilégié de ses conversations, qu’elles se déroulent sur les stands des foires ou lors des dîners en ville où l’esthétique est le condiment du plat principal à défaut d’être celui de la conversation. Leur langage est celui dont se sert quotidiennement le monde de la peinture contemporaine, que ses adeptes répètent en boucle ou copient sur d’autres partisans ; leurs mots sont ceux des savants ou des pédants entendus dans un vernissage ou à l’occasion d’une exposition.

 

Les autres éléments qui entrent en scène et n’en sortent pas sont les tableaux, les escales artistiques à travers le monde, un atelier et l’argent, bien sûr, partenaire majeur, qui circule autant sur le lieu unique appelé marché qu’entre les personnages, sous forme de chèques, lettres de change ou liasse de billets. Moments de bonheur, instants pénibles, on vogue au fil des jours tantôt sur le vaisseau amiral tantôt sur la galère du galeriste ! Dialogues savoureux brossés au pinceau fin, portraits ciselés à la pointe noire, silhouettes rehaussées pour les amis les plus proches, esquisses en sfumato pour les seconds rôles, Bernard Duval qui est lui-même peintre sait manier les contrastes et les mises en perspective. Redevable envers trois maîtres qui « ont guidé sa route », Gauguin, Matisse et Bonnard, il dit « que la couleur c'est la lumière, et la lumière c'est mon bonheur ». Ecrire pour lui en est sûrement un autre. Il a raison de le partager.  

 

Dominique Vergnon

 

Bernard Duval, Le Galeriste, Somogy éditions d’art, 176 pages, à paraître en mars, 23 euros.

 

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