Edward Hopper, tel qu’en lui-même….

« Lumière fin de crépuscule….route gris foncé, forêt de pins vert foncé….Homme blond en pantalon bleu, chemise blanche et gilet noir se penchant sur la pompe…Maison blanche dans l’ombre, toit rouge…bord de la route, sur un côté…notez la lumière familière et envoûtante sur l’enseigne».  Des mots pour une séquence de film, le début d’un roman noir? Non, simplement le texte écrit par Jo, l’épouse de l’auteur, en-dessous du croquis à l’encre où est esquissé ce qui est devenu un des tableaux les plus emblématiques d’Edward Hopper, Station-service, achevé par l’artiste en septembre 1940. Qui n’a en mémoire la fameuse enseigne de Mobil Oil éclairée dans la nuit naissante ? Sur le terre-plein ocre, aucune voiture pour prendre de l’essence. La route est déserte. L’homme est occupé, mais à quoi ? On ne voit pas ses mains. Comme souvent, l’atmosphère est étrange sinon oppressante. Hopper a un don qui n’appartient qu’à lui pour cadrer une action soudain suspendue, créer des ambiances neutres en apparence, en vérité accroître les tensions de l’amour absent, de l’ennui, de l’attente.  

 

Hopper est un maître du mystère, comme Hitchcock. Celui-ci avec la pellicule, celui-là avec la peinture, l’un et l’autre en quelques séquences en disent plus qu’avec mille images. Ils ne sont  pas loin d’être contemporains. Alfred Hitchcock s’est d’ailleurs inspiré de l’œuvre de son compatriote pour certains de ses films. L’auteur de ce petit livre rappelle qu’Hopper a toujours été cinéphile et qu’entre autres influences, l’expressionnisme allemand représenté par Murnau le séduisait.

 

En octobre 1906, Hopper part pour Paris. Il découvre ce qu’il ne trouve pas chez lui, une autre culture. Par comparaison, une fois rentré dans son pays, tout lui « semble grossier, rustique, ordinaire ». Pourtant, c’est cette vie américaine qu’il va peindre, raconter, épier, dévider tableau après tableau. Avec délicatesse, finesse d’observation, psychologie, adoptant une palette à la fois étroite et lumineuse, choisissant des couleurs primaires qu’il nuance en dégradés infinis afin de donner du volume et d’accroître les perspectives, il loge des êtres silencieux au milieu de décors qui bien que se résumant à un angle d’immeuble, l’arête d’une maison, un hall, un café, un bureau, une pièce d’habitation, deviennent des espaces immenses, presqu’infinis. Ou alors il part d’une vue à vol d’oiseau et réduit l’action qui pourrait être un drame à une anecdote banale. Solitaires, silencieux, même quand ils se rencontrent dans des lieux qui semblent familiers et restent cependant non identifiables, il  inscrit leur présence dans des paysages et des instants qui les dépassent. « Mes compositions, souvent, ressemblent à un proscenium. Mes personnages sont dans des postures dramatiques. L’éclairage est accusé, direct, artificiellement théâtral » fait dire l’auteur à Hopper. C’est l’époque où l’Amérique change, se déprime et pourtant crée son propre mythe auquel, par l’intermédiaire d’un peintre de grand talent, un public de plus en plus large et convaincu s’est attaché.

 

Après Nicolas de Staël, Matisse, Van Gogh, Karin Müller entre dans l’intimité d’Edward Hopper. Elle nous fait partager de près son quotidien, à la manière singulière qui est la sienne d’approcher la vie en général de l’artiste, d’en comprendre les ressorts et de traduire les dimensions autant affectives qu’esthétiques. De cet homme secret et exposé, elle se fait la biographe suffisamment discrète pour ne pas abuser de ses confidences mais assez avertie afin de ne pas nous en priver. Elle montre comment sa peinture exprime sur la toile ce qu’il y a de plus difficile à saisir, la pensée. Une lecture qui renvoie à la grande exposition organisée en 2011 et qui révéla un homme dont la vie et l’œuvre étaient injustement méconnues. 

 

Dominique Vergnon

 

Karin Müller, Edward Hopper,…exprimer une pensée par la peinture, collection « je, biographe », éditions Michel de Maule, 76 pages, 15 illustrations, 14x19 cm, février 2015, 17 euros.

 

 

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