Modèles d’harmonie islamique

De l’arabesque à l’astrolabe, de la miniature au manuscrit, de la céramique à la verrerie, il est large l’éventail des harmonies et des savoirs de l’art islamique. La phrase connue « l'art de l’islam est une science et la science de l’islam est un art » devient une clé de lecture utile pour aborder ces pages. Dès l’Antiquité, celui-ci s’étend, se propage, se perfectionne et se diversifie selon les temps et les lieux sur l’étendue d’un monde qui s’étire de Fès à Samarkand, pour donner deux points de repères. Comme ce qui se passe en même temps dans le monde occidental qui est en face, les voyageurs et les biens circulent de manière permanente et croissante. On aurait tort de croire que les volumes des échanges tels que nous les connaissons aujourd’hui ne datent que du siècle dernier. Certes en raison de la lenteur voire de la précarité des moyens de locomotion d’alors, limités à la marche, au cheval et au bateau, les déplacements sont lents et aléatoires et impliquent la durée. Mais les connaissances et les expériences ne sont pas moindres que celles de maintenant et sont tout aussi évolutives et denses. On lit au début de cet ouvrage très abondamment illustré et rédigé par une vingtaine d’auteurs spécialisés dans le domaine de l’art islamique qu’« au long des siècles, le flot régulier des voyageurs et les vastes échanges de biens, de pratiques et d’idées ont manifestement réussi à créer un solidarité non seulement physique et économique mais également sociale et culturelle, entre villes et communautés, de Tombouctou à Delhi et de Grenade au Maldives ».

 

Religion et écriture sont des facteurs unificateurs, à l’instar de ce qui passe, une fois encore, dans cette autre immense étendue d’intelligence qui couvre l’Europe et ce depuis l’Antiquité. Les héritages sont considérables qui forgent des identités qui ne peuvent se nier. On est d’autant plus horrifié de constater combien les destructions récentes de sites prestigieux qui sont la mémoire et le patrimoine des cultures universelles sont des actes proprement barbares. On pense bien sûr à l’ancienne cité d’Hatra en Irak, à Nimroud, capitale de l’empire assyrien au IXe siècle av. J.-C, au musée de Mossoul, à Tombouctou où sévit le ravage des mausolées de saints musulmans par des groupes islamistes armés en 2012, autant d’événements en faveur desquels l’UNESCO appelle la communauté internationale à réagir vite et fort. Les apports à la science, à la littérature, au droit, à la poésie, à l’architecture et naturellement à l’art de la part des savants, des écrivains, des artistes et des artisans de cette civilisation islamique sont considérables. Leurs innovations dans la calligraphie, la sculpture sur bois, le travail du métal, les textiles, en médecine, apparaissent à la fois proches et complémentaires de celles développées par leurs homologues européens mais aussi résolument différentes car elles relèvent d’autres logiques, ce qui a permis des croisements féconds Occident-Orient et des influences réciproques. Comme toujours, la Méditerranée est au cœur de ces rapports et leur véhicule privilégié pour en assurer la transmission. Cette double approche nord-sud de la nature et de l’homme signifie progrès et enrichissement en miroir.

 

Les raffinements esthétiques de ces objets montrent que le côté figuratif qui sert de référence ailleurs est ici absent. Comme dans l’image de la mosaïque où tout part du centre et y revient, l’art islamique repose sur un équilibre qui est unité afin que soit créée une « ambiance ». L’arabesque évoquée plus haut est l’expression de cette fin qui devient commencement et suppose son retour. Les formes sont ainsi au service d’une beauté qui n’est plus formelle ou le moins possible. Cette beauté est d’essence divine, elle reflète le Beau absolu. Cependant, comme on peut le constater au long de ces textes tous très intéressants, rien ne se fige et les manifestations de cette concordance sont multiples et incluent des représentations visibles pour être mieux appréhendées. Les soieries de l’Empire byzantin ont des décors qui ne sont pas si éloignés de ceux que nous pouvons voir sur certaines pièces européennes. La stylisation des coupes et leurs motifs renvoient de même aux décorations d’objets similaires exécutées en Chine à la période Tang, rappelant que durant la domination turco-mongole et les expansions nomades, de telles transpositions étaient courantes et naturelles. Les chapitres proposent une approche globale de l’histoire, de la géographie, des arts, ce qui permet de saisir les évolutions et de construire une histoire complète. Un exemple parmi d’autres, les deux pigeons en acier incrusté de laiton et d’argent réalisés en Iran au XIX-début XXème siècle ont une identique pureté de lignes que cette statuette de quadrupède en céramique non glaçurée de Kashan datant du VIII-XIIème siècle. Abritée dans l’imposant musée du Cinquantenaire, un des lieux les plus emblématiques de la capitale belge, la collection de l'islam comprend quelque 1.200 pièces. Un trésor auquel ce livre sert de guide.   

 

Dominique Vergnon

 

Mieke Van Raemdonck et al., En harmonie, l’art du monde islamiqueéditions Racine, Lannoo-Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, 26x 30 cm, 256 pages, très nombreuses ill., mars 2015, 40 euros.

 

 

 

 

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