Leçons de théâtre

Ce petit ouvrage a le charme des livres de recettes d’autrefois. On le lirait presqu’avec gourmandise. Les ingrédients les plus surprenants  entrent dans la composition de ces morceaux de choix qu’on ne sert que dans ce lieu particulier qu’est un théâtre. Chacun des quelques cent chapitres commence en effet par le mot comment, un petit terme-sésame qui permet de comprendre les principes et les astuces de la fabrication de scènes réussies grâce aux surprises, aux bruits, aux éclairages, aux transformations. « Comment figurer des balcons sur les façades en perspective ? », « Comment faire que la mer tout d’un coup se soulève, s’enfle, s’agite et change de couleur ? », « Comment simuler les éclairs », « Comment représenter un paradis ? » ou encore « Comment faire disparaître avec prestesse un fantôme….» et tant d’autres idées qui font frissonner, s’esbaudir et s’émouvoir le spectateur. Attention, ce ne sont pas des effets spéciaux produits par ordinateur que propose cet intelligent cuisinier qui donne aux pièces un goût inégalé et savoureux! Nous sommes bien loin de cela, dans un univers trois fois plus extraordinaire, inimaginable, confondant. L’auteur de ces magies dépasse par son imagination les inventions numériques les plus osées. Est-ce que les fictions créées au XVIIème siècle valent toujours ? La réponse est dans ces pages.

 

Ce directeur artistique oublié est né à Pesaro en 1574, il meurt dans cette même ville en 1654. Il est l’architecte de son Altesse Sérénissime le duc Francesco Maria della Rovere, dernier seigneur de Pesaro. Il se vante d’être le disciple de « l’Archimède d’Italie, Guido Baldo dei Marchesi del Monte ». Il est l’héritier du théâtre grec. Il est régisseur et urbaniste. Il est aussi ingénieur du son. Son traité de 1638 pourrait donner des idées nouvelles aux générations de plasticiens d’aujourd’hui et à ceux qui font des « installations ». On lit en outre sur une notice qu’il « découvre un principe encore utilisé aujourd’hui : l’œil du prince. Il s’agit de la place dans la salle d’où l’on peut le mieux voir le spectacle. Ce point de vue idéal désigne l’endroit où la perspective offerte par le décor est la plus réussie. Le siège en question, souvent envié, se situe normalement à peu près au centre du septième rang d’une salle de théâtre ».

 

Il est un démiurge qui allie artisanat et mathématique, géométrie et prestidigitation. Il est autant simple poète qu’illusionniste de génie. Il sait combien gérer un deus ex machina est difficile. Les metteurs en scène de Molière feront référence à ses incroyables machinations pour que « le secret et le mystère du théâtre », selon les justes mots de Louis Jouvet qui signe une longue et magnifique préface, véritable leçon de théâtre, deviennent une seconde réalité, plus authentique que l’autre. Ses croquis de perspective, ses schémas et ses plans dévoilent les trucs et les procédés qui font que la pièce devient tour à tour un enchantement, un drame, une comédie, accompagnant le jeu des acteurs de ces événements qui fascinent le public et lui font croire que l’ouragan et l’incendie, l’orage et l’arc en ciel arrivent tout droit de la nature extérieure et sont passés par les coulisses. Acteurs, textes, décors se trouvent de ce fait magnifiés. Louis Jouvet raconte sa découverte mémorable, celle d’un homme de science, honnête, qui a de son métier la plus entière connaissance, érudit et discret. Il parle aussi de ces différents « ordres » du théâtre, le médiéval, l’italien, le shakespearien. Son nom : Nicola Sabbattini. Autrement dit un inconnu. Désormais il l’est moins.

 

Dominique Vergnon

 

Nicola Sabbattini, Pratique pour fabriquer scènes et machines de théâtre, éditions Ides et Calendes, 12,5 x17 cm, 178 pages, 186 dessins en noir et blanc, mars 2015, 19 euros.

 

 

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