Jules Chéret, chroniqueur de Paris

Le style de Jules Chéret le rend unique parmi les artistes de son époque. Parce qu’il est au seuil de la modernité, Seurat, Toulouse-Lautrec, Bonnard lui doivent beaucoup. On ne le confond avec aucun autre car sur chacune de ses œuvres s’ouvrent comme un éventail la gaieté, la légèreté, des harmonies colorées, les mouvements rapides, les sourires, ce ton facétieux qui est celui des clowns, des pierrots, des danseuses. Reconnaissable entre tous, le trait est rapide, vif, nerveux, il donne une consistance réelle aux personnages de cette vaste galerie qui s’anime, s’agite, s’amuse, et en même temps les débarrasse de tout superflu. 


Il réalise des réclames pour des produits aux noms cocasses et oubliés comme par exemple cette affiche vantant la Saxoléine, pétrole de sureté extra-blanc, déodorisé, ininflammable, en bidons plombés de 5 litres, parue dans Le Courrier français en janvier 1896! Cadrage impeccable, vélocité des rythmes, dynamique des gestes, ses figures bondissantes et virevoltantes évoquent ces funambules que Chéret représente sur une élégante lithographie en sépia et encre blanche sur fond beige de 1888. On entend en arrière fond les musiques d’Offenbach, d’Hervé et de Chabrier, une polka, un air joué au Bal des Quat’z’arts. On est transporté dans le Paris de la Belle Epoque, on assiste à des soirées au théâtre des Folies Bergères et on se grise au Moulin Rouge. On entre au musée Grévin et ses pantomimes lumineuses. On lit Le Courrier des Amours. On s’enthousiasme pour les courses à l’hippodrome de la Porte Maillot, les enfants achètent des jouets Aux Buttes Chaumont, enseigne pour laquelle il crée de nombreuses publicités. Ayant beaucoup produit, Jules Chéret (1836-1932) est avant tout célèbre pour ses affiches et ses panneaux décoratifs comme La Comédie, datant de 1891, où l’on voit une jeune actrice presque sautant tant sa silhouette est aérienne ; elle tient dans la main droite un masque tandis que derrière elle une cacade de visages confirme la justesse et l’euphorie du sujet traité. Il travaillera pour le parfumeur franco-britannique Eugène Rimmel qui vendait un almanach parfumé pour the small sum of sixpence, la petite somme de 6 pences. Le « crayon spirituel » de Chéret comme on disait outre-Manche, signe une série d’étiquettes fleuries dont une montre une nymphe vêtue en fleurs. 

 

Présente tout au long de l’œuvre de Chéret, la femme est un modèle décliné sous de multiples variantes, avec cependant une constante, celle du charme, de la jeunesse, de la séduction, de la  fraîcheur, de la grâce qui meut le corps, des vêtements en corolles, des robes qui s’épanouissent et des chapeaux à la dernière mode. Elle est un spectacle permanent à elle seule. Colombine, bergère en robe bayadère, grande dame, vendeuse, quelles que soient ses métamorphoses, la « chérette » triomphe partout. Entre le romantisme et les mystères d’Eugène Sue, elle évolue à la manière de Loïe Fuller, tourbillon mirifique et papillon entêtant. Le critique Roger Marx, dont Eugène Carrière a fait un portrait assez touchant, écrit qu’elle est « chatoyante d’éclat, de lumières, radieuse de jeunesse et d’humour ». A travers la femme, le style de Chéret « met en contraste le rude avec le délicat, le vulgaire avec le raffiné, le grossier avec le charmant ».

 

Surnommé le « Tiepolo des boulevards », Chéret a une connaissance parfaite et complète de son métier de créateur d’images. Sa formation de lithographe passé par l’imprimerie, ses cours de dessin complétés par la décoration d’intérieur servent une carrière dont le succès ne s’est jamais démenti. Roger Marx (1859-1913), journaliste et critique d’art, séduit par le style de Chéret qui pour lui est « un maître de goût, de tempérament, de style tout français », admirant son incroyable talent pour dresser le portrait des « danseuses coquettes » ou des  « bouffons ridicules », a constitué une vaste collection d’œuvres, essentiellement des petites pièces, du chroniqueur de la vie parisienne. Cet ouvrage, abondamment illustré, catalogue de l’exposition actuelle du musée Roybet Fould, présente cet ensemble accompagné d’un texte très documenté où se croisent les regards des contemporains.

 

Dominique Vergnon

 

Virginie Vignon, Emmanuelle Trief-Touchard, Jules Chéret et l’âge de l’imprimé, l’image dans tous ses états, Somogy éditions d’art, 21x24 cm, 144 pages, 187 illustrations, mai 2015, 23 euros. 

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