Trésors des Thraces

Dans son livre « L’ancienne géographie universelle comparée à la moderne » paru en 1801, l’érudit capucin et curieux géographe Joseph-Romain Joly prend pour guide de voyage et de réflexion le célèbre Ptolémée. Pour ce dernier, la Thrace « avoit la Moésie inférieure au nord, la haute Moésie et la Macédoine au couchant et différentes mers au midi et au levant. Nous y distinguons la partie orientale, la Chersonèse, les côtes de la mer Egée et l'intérieur du pays ». A cheval sur les trois voire quatre pays actuels, la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie, les contours et les limites de cette région ont connu des évolutions régulières au long des siècles.  Trois mers la baignaient, la Mer de Marmara et la Mer Noire à l’est (le Pont-Euxin des Grecs), et la Mer Egée au sud. Ailleurs, des frontières pour ainsi dire naturelles délimitaient son étendue. De nombreuses peuplades et tribus se sont succédées sur cette vaste terre et y ont développé de brillantes cultures résultant des rencontres et des croisements entre populations, Odryses, Nypséens, Besses, Satres, Derses, Moésiens, Daces, etc. La variété des langues était grande mais l'écriture était essentiellement grecque. Ils étaient aussi bons artisans que guerriers et cavaliers aguerris. Une petite coupe à figures rouges (vers 470-460 av. J. C.) montre un élégant cavalier muni de deux lances, portant un long manteau à décor crénelé appelé zeira, bordé en bas d’une bande noire. Un splendide casque dont les protège-joues sont articulés met en valeur l’armement des combattants thraces qui disposaient aussi de glaives, de boucliers, d’arcs et d’armures.    

 

Aucun texte, aucun poème ne permettent d’avoir sur la Thrace des éléments probants quant à ses dieux, ses rois et ses héros mais leurs noms nous sont parvenus et sont devenus presque familiers comme Arès dieu de la guerre, Borée le vent du Nord, Rhésos « tué alors qu’il dormait au milieu de ses soldats », épisode que l’on observe sur une situle où la narration de l’évènement prend une dimension très expressive, Diomède, Lycurge ou encore Térée dont Rubens évoque la folie dans un tableau de 1636-1638. Il existe des rapprochements évidents avec la littérature grecque et avec les faits historiques qui ont nourri longtemps l’imaginaire occidental. Orphée, « doué d’une double nature, poétique et religieuse, rédempteur par sa descente aux enfers » est une de ces fascinantes figures mythiques dont Monteverdi pour la musique et Gustave Moreau pour la peinture s’empareront plus tard. Si bien des questions relatives à l’histoire et l’organisation de la société thraces demeurent sans réponses ou lacunaires, on sait cependant qu’il y avait une élite dirigeante qui portait des insignes et des parures très ouvragés, d’une exceptionnelle beauté, comme en témoignent par exemple les pectoraux en or et une couronne de feuilles d’olivier en or, des colliers et des boucles également en or retrouvés lors des fouilles archéologiques dans  des tumuli ou des sépultures. L’architecture et l’urbanisme dévoilent aussi une étonnante capacité d’innovation et d’adaptation aux conditions locales. Les nécropoles mises à jour relatent à travers les dépôts rituels et les résidus organiques découverts l’importance des cérémonies funéraires.

 

L’habileté des peuples thraces à travailler les métaux et les pierres est prouvée par les magnifiques objets qui nous sont parvenus. Sans aucun doute parmi ceux-ci, révélant le plus la profusion décorative et le point de perfection esthétique atteint par cette civilisation, se placent les rhytons et ses différentes variétés, cruche-rhyton et amphore-rhyton du trésor de Pangyurishte, découvert par hasard en 1949 dans cette localité située presque au centre de la Bulgarie, à l’est de Sofia. L’ensemble brille à cet égard d’un inestimable éclat, à la fois en raison du raffinement des scènes dans lesquelles interviennent des personnages (Héra, Athéna, Pâris…) mais aussi des formes des neuf pièces qui composent ce trésor, totalisant plus de 6kg d’or et datant environ de la fin du IVème s. av. J.C. : phiale alternant des combinaisons de palmettes, glands, volutes, têtes et rosettes, rhytons à tête de jeune bélier et de daim portant des inscriptions et des décorations en relief, vase orné de frises à oves, de perles, de sphinge. Un autre rhyton à protomé de taureau, provenant d’un service de banquet, trouvé lors de travaux agricoles en 1974, près de Borovo, au sud-ouest de la ville de Ruse sur le Danube, souligne cette maîtrise technique et le goût raffiné des ateliers produisant ces pièces pour la classe aristocratique. On admire la délicatesse des ciselures qui ornent le front de la bête, ses pattes repliées et ses cornes.

 

Ce ne sont là que quelques repères pour orienter et accroître la curiosité que l’on ressent devant cette prodigieuse aventure qui s’est déroulée sur le sol thrace et qui grâce aux études et aux fouilles qui se poursuivent livre peu à peu ses énigmes. Les richesses artistiques des Thraces qui avaient déjà été présentées en France sont à nouveau exposées pour le plus grand des plaisirs. Cet ouvrage abondamment illustré, complété par un glossaire et une ample bibliographie, accompagne la somptueuse exposition du Louvre.  

 

Dominique Vergnon

 

Sous la direction de Jean-Luc Martinez, Alexandre Baralis, Néguine Mathieux, Milena Tonkova et Totko Stoyanov, L’Epopée des rois thraces, découvertes archéologiques en Bulgarie, Somogy Editions d’art, 24,6x30 cm, 320 pages, 250 illustrations, avril 2015, 39 euros. 

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