Comment bien regarder les tableaux ?

Mieux apprécier une œuvre en entrant davantage dans sa séduction et son mystère, saisir les éléments qui lui donnent sa valeur particulière et son originalité, assurent son intérêt et la rendent unique et reconnaissable à la fois, n’est-ce pas le souhait de tout amateur de peintures ? Le peintre, comme l’écrivain et le musicien, entend partager sa pensée et exprimer ses émotions face au réel, à une fiction, à un événement. Il se délivre du message qu’il porte en lui en le délivrant à autrui. Quels sont les moyens que l’auteur d’un tableau a choisis pour traduire son intention, à quelles techniques et quels symboles recourt-il? Comment, sous la double impulsion de son idée et de sa main, cet espace plat prend-t-il des dimensions nouvelles et la toile cette profondeur qui invite à la compréhension, à la méditation, au rêve? Comment établit-il le dialogue avec celui qui regarde son œuvre, celle parmi toutes les autres autour d’elle qui accroche son attention? Derrière l’image, quelles intentions se cachent et quelles intuitions se dévoilent? Quel parti a été préféré, à quel genre se rallie-telle, est-il du côté de l’abstraction ou plutôt de celui de la figuration, de la théâtralité ou de la simplicité, quelles « options plastiques » président à l’élaboration du tableau ? Quelle narration est proposée aux yeux du spectateur, c’est-à-dire au terme du parcours créateur, à sa réflexion et son plaisir personnels ?

 

La mise en parallèle des œuvres est une de ces méthodes éprouvées qui permet de comparer et de confronter tous ces repères - couleur, cadrage, contraste, lumière, composition, figure, matière, volume - entrés en ligne de compte un à un et se mêlant peu à peu pour définir le style d’un peintre, sa manière, ses conventions, ses ruptures, ses périodes, son époque, le mouvement auquel il appartient. Les thèmes privilégiés, les symboles employés, les figures présentes, les plans qui construisent cette étonnante architecture sur laquelle les yeux pressés glissent sans s’arrêter assez interviennent tour à tour et ensemble, en disent plus qu’eux-mêmes, ratifient en quelque sorte l’œuvre avant même que l’artiste la signe de son nom.

 

Léonard de Vinci en face d’Emil Nolde, Rubens en face de Poussin, Mantegna en face de Dali, Caspar David Friedrich en face de Joseph William Turner, Monet en face de Van Gogh, quelles rencontres de talents et quels croisements de savoir-faire se retrouvent réunis dans ces pages! Observer un citron solitaire sur un plat de Manet et l’exubérance d’une nature morte de Jan Davidsz De Heem, contempler l’héroïque lumière qui sculpte les trois frères romains dans Le Serment des Horaces de David et la pénombre homogène qui enveloppe les naufragés dans Le Radeau de la Méduse de Géricault, scruter les modelés chez Rogier Van der Weyden et Piero della Francesca, examiner les contours des Trois femmes et une petite fille jouant dans l’eau de Vallotton et de la Poseuse de profil de Seurat, autant d’exemples significatifs prouvant la nécessité de pénétrer dans ces histoires glorieuses et ces anecdotes singulières. Présentés en entier puis avec un focus sur des parties précises, les tableaux de plus de cent peintres sont proposés au lecteur afin qu’il puisse les voir, c’est-à-dire sache comment aller au-delà d’une vision rapide et superficielle oubliant le principal pour accroître ses connaissances et ainsi ne plus passer à côté de l’essentiel. Voir pour distinguer le mat et le brillant, le lisse et la matière, le flou et le net, le rare et le beaucoup, l’envers et l’endroit. Voir aussi pour admirer le dessin et la couleur, le volume en dégradé et le volume en contraste. Voir encore pour capter la douleur et le plaisir, la tristesse et la joie. Voir toujours pour savourer le visible et accéder à l’invisible. Grâce à des jeux d’engrenages et de clés qui s’ajustent et peuvent fonctionner simultanément ou séparément, les auteurs invitent à entrer dans ce système nécessaire au discernement et au jugement. Avec cet ouvrage qui se consulte comme répertoire et aide-mémoire, on ne voit plus les tableaux de la même manière.

 

Dominique Vergnon

 

Hélène de Givry, Joséphine Le Foll, Comment voir un tableau, Hazan collection « guide des arts », 304 pages, 300 images, 13x20 cm, juin 2015, 20 euros

 

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