Délassements et divertissements à Fontainebleau

On est au siècle des urbanités et des civilités, dans les manières, les tenues, le langage. Louis XIV qui portait la main à son chapeau devant une soubrette et au temps duquel il fallait « même mourir en symétrie » a fixé les codes. Le courtisan se plie au cérémonial, « car il est un signe de reconnaissance sociale. Maîtriser les habiletés de l’étiquette, c’est se distinguer et se retrouver parmi ses pairs ». Les licences que l’on se permet de prendre, « les émollientes frivolités » ou  les dissipations auxquelles il est facile de céder obéissent néanmoins à des règles non écrites et discrètement transmises de savoir-vivre et de savoir-faire. La banalité et la trivialité sont des attitudes inconnues dans les salons. Pour notre époque qui apprécie moins les convenances et les bienséances, il s’agit d’un autre monde. Certes la vie à la cour de Versailles doit être souvent pesante. Elle l’est pour Marie-Antoinette. S’en échapper de temps à autre devient pour elle une nécessité et un plaisir. Elle profitera à Fontainebleau d’un lieu d’isolement où seuls quelques intimes auront accès. Quel est cet endroit privé où la reine enfin peut être elle-même ? Le boudoir turc. Un autre boudoir dit d’argent est à l’étage inférieur. La vue donne sur le jardin. 


La mode est à l’Orient. En 1721, un écrivain français, alors anonyme, avait publié Les Lettres Persanes. Il deviendra célèbre ! Quelques années plus tard, en 1743, le comte de Caylus rédigeait ses Contes orientaux. Le 25 octobre 1776, l’opéra-comique en trois actes Achmet et Almanzine était représenté devant Leurs Majestés à Fontainebleau. L’imaginaire attribué au Levant, le café, le divan, le harem, les habits a la turca enchantaient l’Europe.  

 

Un nouveau projet d’aménagement des petits appartements de Marie Leszcynska, épouse de Louis XV, jugés démodés, conçu initialement par Richard Mique puis revu et corrigé par Potain est soumis à la reine qui l’approuve en 1777. Les frères Rousseau interviennent à leur tour dans la décoration. Tout, des lambris aux tissus, atteint un niveau de raffinement extrême. L’art de l’arabesque est appliqué dans sa finesse et son exotisme, les perles et les feuilles d’eau voisinent avec le croissant et les odalisques. Les meilleurs artistes comme le peintre Médard Brancourt, le sculpteur Augustin Bocciardi, le marbrier Jacques-François Dropsy, plus tard Georges Jacob et Jean-Henri Riesener apportent leur concours à ce précieux ensemble. Un système ingénieux de poulie et de glissière permet de mouvoir une glace sans tain. Des bergères, des tabourets, une petite « table en chiffonnière de marquèterie…en mosaïque de bois rose et bois violette sur fond gris encadré d’un filet de bois bleu » intègrent le mobilier « de ce royaume de sultane » qui sera perdu à la Révolution. Selon les auteurs, c’est à proprement parler « un univers des Mille et une Nuits » qui est livré à la souveraine.

 

Pour en faire sa petite chambre à coucher, Joséphine à partir de 1809 occupe les lieux. Ils sont  réorganisés selon le style Empire, avec de petits meubles compte tenu de l’espace limité, mais « l’esprit turc » demeure. Le bronze, l’or et l’acajou, les figures de cygne et les palmettes signent le décor également somptueux qui a été entièrement restauré à partir d’un projet de rénovation lancé en 2017 et qui a duré plusieurs années. Aventure technique et esthétique, impliquant un travail inimaginable, soigné jusqu’aux fils et aux clous de tapissier près, particulièrement pour reconstituer les tissus, les broderies et les passementeries. Comme celle qui l’y a précédée, mais pour d’autres raisons, elle abandonnera assez vite ce délicieux écrin où l’une et l’autre trouvaient des moments de paix et de bonheur dans ce recoin rêvé dont l’histoire est contée dans ce bel ouvrage.

 

Dominique Vergnon

 

Vincent Cochet et Alexia Lebeurre, Refuge d’Orient, le boudoir turc du château de Fontainebleau, de Marie-Antoinette à Joséphine, éditions Monelle Hayot, 27,5 x 21 cm, 254 illustrations, 208 pages, mai 2015, 39 euros.

 

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