Fêtes et fastes au Grand Siècle

Selon le décorateur de théâtre Carlo Vigarani, quand Louis XIV danse le Ballet de l’Impatience, il est « l’homme le plus leste…et le plus majestueux dans chacun de ses mouvements » qu’il a rencontré. Il admire de plus la suprématie de la France en matière de création de costumes de spectacles. Jarretières en soie jaune, taffetas vert ou armoisin, armures végétalisées, écharpes pour porter le carquois, pourpoints, escarpins, cottes lacées, bérets, hauts bonnets à la hongroise, toques, robes brodées, chausses et mantelets, costumes agrémentés d’écailles de poisson, brandebourgs, caparaçon de parade pour le Dauphin, plumes et rubans partout, les mots semblent en retrait de la réalité et insuffisants pour décrire la magnificence et le raffinement des costumes créés par Jacques Bellange (1575-1616) et Jean Derain (1640-1711). Cette  exubérance parfaitement maîtrisée dépasse l’imagination. On est à la fois devant l’extravagance la plus folle et l’élégance la plus aboutie. Sans oublier la mention de ces alliances et de ces harmonies de tons où l’incarnat, l’or, le bleu azur, l’ivoire, le corallin et le zinzolin  dominent ni même les combats à cheval, les joutes et les courses de bague - ce qui implique des harnachements à la hauteur de la dignité des cavaliers - et dont les planches aquarellées reprises dans ce livre apportent la preuve manifeste de l’extrême qualité. On devine devant ces pages combien il aurait été éblouissant de les voir en vrai ! La magie de leur invention et la perfection des figures et des décorations, comme le souligne Paulette Choné, historienne spécialiste de l’histoire de l’art des XVIe et XVIIe siècles, émerveillent et saisissent le regard. Pas d’équivalent même chez ce génial créateur de fantastiques compositions qu’est Arcimboldo, bien connu pour sa série des Saisons, commandée en 1573 par l'empereur Maximilien II de Habsbourg. Ce qui frappe ici, c’est non pas un « univers névrotique, exaspéré» mais bien plutôt ce « frémissement » et ce « romantisme ravissant », la manière qu’a l’époque « de décréter pour un instant le dimanche de la vie ». Par l’excessive finesse du trait, la richesse des couleurs et les trouvailles incessantes des signes, les magnifiques planches qui sont reproduites dans cet ouvrage ne sont pas sans évoquer certaines toilettes qui se distinguent sur les enluminures médiévales.

 

Ces habits de lumière et de comédie que portent des dames « coiffées d’un soleil », munies de flèches, arborant des masques faits en toile, en mousseline et papier mâché, servent pour les ballets féériques et les carrousels qui se donnent au palais de Nancy et à Versailles, mais aussi à Saint Germain ou encore au château d’Anet, par exemple pour la première d’Acis et Galatée. On note sur ce point que les cours de Lorraine et de Mantoue avaient noué des relations étroites et qu’elles rivalisaient d’éclat. Le but de ces réjouissances est non seulement le jeu en soi, le divertissement, la récréation, l’envie de se donner en spectacle et d’inviter les autres à partager cet enthousiasme, mais il se double aussi du plaisir d’interpréter des pièces de qualité se référant à la mythologie où l’érudition n’est pas la moindre des exigences. L’aristocrate se déguise en bohémienne, la pucelle tient une palme, la troisième monte en amazone. Par délassement, par goût, par feinte, certaines se cachent derrière une barbe, d’autres affichent un visage de Turc, d’Espagnol, de diables. Les hommes ne sont pas en reste, ils se revêtent de parures royales, comme ce costume du roi Egée pour la tragédie en musique Thésée de Berain (1675), avec « des manches bouffantes et percées de taillades au niveau des épaules ». Les ornements les plus insoupçonnables courent partout sur ces étoffes et les rehaussent en tous points de sorte que rien ne semble échapper à leurs présences, contribuant de ce fait à accroître le charme de ces tenues. Le catalogue des inventions que proposent ces artistes apparaît illimité, incroyable, alliant à la créativité italienne la fantaisie à la française, à l’exotisme de l’Orient l’ironie de Molière, au surréalisme le maniérisme, unissant de surcroît musique, poésie, art lyrique et danse. « Quand la toile retombait après plusieurs heures de représentations féeriques, le rêve ne s’évanouissait cependant pas complètement pour une assistance encore toute imprégnée de ce qu’elle avait vu et entendu ». Les musiques de Lully et de Monteverdi sont encore les pensées, les mélodies rythmées par les sons des violons, des luths, des sistres et des tambourins résonnent longtemps dans la tête. Menus plaisirs, certes, mais d’abord l’excellence et le monde enchanté du « pays d’opéra ».   

 

De Marguerite de Gonzague à Racine, de Colbert à Charles Le Brun, de Frédéric 1er de Wurtemberg à la duchesse de Bourbon et au prince Eugène de Savoie, en marge des grands personnages dont les noms et les titres émaillent ce livre et qui se croisent lors des mascarades et des carnavals, se détache un homme oublié mais décisif, sensible au théâtre, habile vendeur, intelligent au possible, celui qui est au cœur de ce moment de l’histoire de l’art et que fait revivre ce texte. Il s’agit de Claude Pioche, sieur Du Rondray. Passés par Londres, objets précieux, les dessins virtuoses et les somptueuses estampes au trait qui fascinèrent le duc d’Aumale et que l’on admire aujourd’hui lui doivent beaucoup ! Son aventure et leur cheminement sont relatés avec talent et finesse et introduisent ce remarquable et passionnant ouvrage.

 

Dominique Vergnon

 

Paulette Choné, Jérôme de La Gorce, Fastes de cour au XVIIème siècle, costumes de Bellange et de Berain, éditions Monelle Hayot en co-édition avec l’Institut de France et le  Domaine de Chantilly, 24 x 32,5 cm, 264 pages, 200 illustrations, mai 2015, 49 euros.

 

 

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