La majolique, histoire d’un art pour humanistes

Un premier rappel, tout d’abord, au sujet de ce joli terme poétique. Il dérive d’une altération de Majorica, Mallorca en castillan, nom de l'île de Majorque, dans l’archipel des Baléares. Par là passent les poteries espagnoles avant d’arriver en Italie et de prendre cette appellation qui s’imposa aux différentes faïences fabriquées au-delà des Alpes durant la Renaissance. De là aussi ce style hispano-mauresque qui se retrouve uni à l’Antique sur les céramiques produites par ces centres de renommée universelle que sont entre autres Faenza, Urbino et Deruta mais en sachant que Pesaro, Messine, Turin, Naples ou Venise - lieu des liens privilégiés avec la Chine ce qui permit d’enrichir les objets de motifs végétaux inspirés de la porcelaine chinoise mais aussi avec l’Allemagne, en particulier Nuremberg - n’étaient pas en reste. La carte montre combien nombreux étaient les centres de production du nord au sud de la Péninsule, jusqu’en Sicile. Le second rappel, plus technique, renvoie à la fabrication elle-même, consistant à recouvrir la pâte argileuse d’un émail spécifique au plan chimique sur lequel le décor peint est posé.



Les pièces sont soumises à des cuissons successives. Le feu agissant sur les différents oxydes aboutit à ce miracle de beauté dont les reflets métalliques et les éclats de la glaçure attirent le regard et défient le temps. Le répertoire des formes s’amplifie peu à peu et les décorateurs reprennent les motifs de la tradition gothique, y ajoutent ceux de l’Orient, les élargissent avec ceux de l’humanisme qui triomphe alors. Les couleurs qui dominent sont le bleu, le vert, l’orangé, l’ocre, le brun, elles se mêlent aux grisailles, aux rehauts de blanc et d’or qui accroissent les contrastes, concourent à la polychromie générale et donnent de la profondeur autant aux grotesques qu’aux scènes toujours vivantes. Les nuances se multiplient comme les ornementations, les figures, les inscriptions, les cartouches, renouvelant ainsi l’esthétique, l’iconographie et la finesse  du discours visuel de chacune des pièces.

 

 

La variété des sources d’inspiration et des thèmes abordés semble illimitée, traitant aussi bien les Métamorphoses d’Ovide, l’Enéide de Virgile, des passages de la Genèse et des Evangiles, que des allégories et des batailles. Hercule croise Charles Quint, Cléopâtre rencontre Proserpine et Abraham Tobie. Plats d’apparat, coupes, chevrettes, gourdes, bouteilles, assiettes, les formes se renouvellent, prouvant que dans ce domaine l’inventivité et le savoir-faire dans les ateliers sont également infinis. Une des pièces les plus élégantes dans sa simplicité est l’albarello, petit vase cylindrique, conçu pour recueillir les épices, les drogues, les plantes, les onguents. Sa description requiert des termes évocateurs qui traduisent les soins apportés à sa fabrication. Il a en effet une panse ou un corps, une base, il peut être cintré, élancé, rétréci au centre, avec des épaules arrondies ou carénées, au col court évasé, il est orné de rinceaux, de grenades, de palmettes persanes, de guirlandes de fruits, de frises. Sur un albarello de 1507, tourné à Deruta, en Ombrie, apparaît dans un médaillon un buste d’empereur couronné de lauriers. L’inscription prouve qu’il contenait un onguent camphré, une substance aromatique extraite de la cinnamone. Son iconographie est inspirée des Tarots de Mantegna. Sur un autre, de la fin du XVè. - début du XVIème s. provenant de Montelupo, on note la décoration originale de motifs en œils de plume de paon. De belle facture, sorti de l’atelier de Ludovico et Angelo Picchi, de Casteldurante, datant de 1550-1560, une coupe à ombilic, à bord festonné et sur pied bas, appelée crespina, offre une scène du péché originel. On voit Eve à genoux à la gauche d’un arbre d’où descend un serpent à corps de femme présentant le fruit défendu à Adam, debout à droite. Ordonnés par plans successifs, des montagnes, des rochers, la mer, de même que les harmonies de couleurs renforcées par  l’usage du noir, donnent de la profondeur à ce tableau quelque peu inhabituel, attribué au peintre conventionnellement appelé Andrea da Negroponte. On admire encore une incroyable salière ovale modelée de têtes de bouc et de mascarons à têtes de lion, portée par une tête de monstre, de l’atelier des Patanazzi.

 

 

Pendant près d’un siècle, de nombreuses villes italiennes affirment leur prééminence absolue dans la production de la majolique, selon un type propre à elles qui est l’istoriato et que soutiennent des mécènes parmi les plus « érudits et raffinés » de l’époque. Grâce à eux et « cette encyclopédie en images », on connaît mieux la vie domestique de la Renaissance. Les superbes pièces qui sont exposées soulignent le niveau de maîtrise auquel les artisans et les artistes, héritiers des savoirs ancestraux, étaient parvenus, car il est évident que le maniement de tous les éléments nécessaires à la fabrication exigeait une expérience et une habileté éprouvées et reconnues. A Gubbio, vieille cité située en Ombrie, il existe des documents du XIIIème s. relatifs au travail de la céramique. Un des maîtres dans cet art, Giorgio Andreoli, « Mastro Giorgio », meurt à Gubbio en 1555. Disposant d’un solide réseau de compagnons, il prospéra et sa renommée s’étendit, il embaucha des décorateurs et ses fils poursuivirent l’activité familiale. Certaines de ses pièces ont été recherchées par les collectionneurs et payées au prix fort au début du XXéme siècle.

 

 

Collectionneur passionné de majolique, Paul Gillet (1874-1971) a réuni au cours de sa vie plus de deux cents pièces inestimables dont il a fait don au Musée des Arts décoratifs de Lyon. Une sélection de 85 d’entre elles est exposée dans un écrin à la hauteur  de leur valeur, à savoir le majestueux Hôtel d’Assézat, construit à partir de 1555 à Toulouse, et où il y a 20 ans la Fondation Bemberg, du nom d’un autre grand amateur d’art, homme de culture et de talent, Georges Bemberg, s’établissait. Riche et foisonnante de détails qui lui assurent une place particulière au sein de l’art décoratif, l’histoire de la majolique se révèle dans tout son intérêt au fil de ces pages et des notices fournies se rapportant aux objets.

 

 

Dominique Vergnon

 

 

Guillermo de Osma, Philippe Cros, Timothy Wilson et al., Majoliques italiennes de la Renaissance, collection Paul Gillet, Fondation Bemberg, 268 pages, 23 x29 cm, nombreuses illustrations, juin 2015, 29 euros.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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