Voyage dans les paysages de Belgique

Où que l’on aille, comme le rappelle dans son introduction l’historien d’art Denis Laoureux, la nature n’existe plus en tant que telle en Belgique. « Aucune zone vierge n’a subsisté »écrit-il. Partout, la main de l’homme est intervenue, pour modifier, modeler, améliorer parfois, défigurer souvent et amoindrir toujours. Sur ce petit territoire, il reste que par endroits, quand on prend le temps de le visiter et le voir avec un regard neuf et bienveillant, demeurent des  paysages qui semblent à la fois libres d’actions ravageuses et conservés dans leur beauté originelle. Dans les Ardennes bien sûr, en Campine également, mais en Wallonie aussi autour de Namur, pas moins que dans les plaines de Flandres, le promeneur découvre des espaces que soit l’habitat galopant, soit l’exploitation excessive de la terre soit a fortiori le progrès n’ont pas entamé en profondeur. Près de Bruxelles, la forêt de Soignes garde cette attirance première des futaies de jadis. Le vent, les nuages, les arbres et des demeures alentour ancrées depuis longtemps dans le sol s’imposent face à la conquête urbaine insatiable. On est dans ce « semi-naturel » dont parlent les spécialistes. Tant mieux, il est source d’inspiration pour les artistes qui savent extraire de l’indifférence assez de substance et en restituent dans leurs œuvres le charme et l’originalité. En bientôt deux siècles, le pire n’est pas forcément au rendez-vous. Les tableaux de 70 artistes réunis dans ce livre proposent d’éviter les jugements trop hâtifs.

 

 

L’environnement interroge l’artiste qui le questionne en retour. La mer, la nuit et ses sortilèges, les amas de sables en bord de plage, les humbles tas de paille, le village qui sommeille quand le froid le saisit, les fruits dont la sève pousse la croissance verte, attirent son attention davantage que d’autres instants n’offrant pas cette soudaine charge de poésie qu’il transforme en un discours esthétique propre à enchanter la nôtre. Il en renvoie selon ses perceptions et le choix de ses traductions - toile, gravure, vidéo - une œuvre qui à son tour nous séduit et partage ce que nous aurions aimé voir avec lui, seul et à sa place. La vague colossale de Thierry De Cordier (Mer Grosse, huile sur papier marouflé sur panneau), Le brise-lames de James Ensor, les cavaliers que l’astre nocturne éclaire (Paysage avec neuf lunes de Charles Doudelet, huile sur toile), Les Dunes de Louise Héger, Les Meules d’Henri Evenepoel, Paysage d’hiver de Valerius De Saedeleer, Le Verger d’Albijn Van den Abeele, sont autant de moments capturés au passage de la lumière, des éléments, du travail de l’homme, de la saison et fixés d’une manière qui s’impose comme le meilleur hommage rendu à leur spectacle éphémère. Il en va de même, bien que cela puisse se révéler contradictoire ou inconséquent avec l’industrie (Hauts fourneaux à Charleroi, de Maximilien Luce, Les Fumées de Pierre Paulus de Châtelet, ces canalisations d’acier qui serpentent, clichés de Jacques Charlier).

 

 

Ailleurs, le paysage se dissout, perd ses repères habituels (Quelque part de Omer Ozcetin), s’invente une seconde dimension, inquiète, surtout quand le soir arrive et que les lueurs deviennent des points étranges autant que diffus (Effet de nuit de William Degouve de Nuncques, La Nuit de Léon Spilliaert, superbe lavis d’encre de Chine et crayon noir sur papier). Il y a encore ces vaisseaux qui fuient, hauts dans le ciel et insaisissables sinon par le rêve, ceinture d’évanescence que peignent Magritte et Maurice Pirenne ou photographie Hervé Charles (Clouds). Parcours créatif qui jusqu’à la destruction des formes construites (Vieillesse du cuivre de Pol Bury) et l’abstraction, qui n’est plus qu’un paysage « libertaire et expérimentale ». Quant à Paul Delvaux et Félicien Rops, le paysage sera intérieur et imaginaire. Six thèmes pour dire que sous le talent, le plat pays prend du relief.

 

Dominique Vergnon

 

 

Denis Laoureux, Paysages de Belgique, un voyage artistique 1830-2015, éditions Racine, 23x24 cm, 176 pages, juin 2015, 29,95 euros.    

 

Sur le même thème

Aucun commentaire pour ce contenu.