Poussin, la peinture dans sa noblesse

Entre 1665 et 1685, Louis XIV achète un grand nombre de tableaux de Nicolas Poussin. Ils forment le cœur de la collection qui est aujourd’hui au Louvre et compte 40 toiles toutes aussi superbes que délicates, aussi brillantes que contemplatives, aussi rythmées qu’apaisées. Il s’agit de la plus importante collection au monde. Autant écrire 40 chefs d’œuvre étudiés dans ce volume qui mérite à son tour tous les éloges pour l’ensemble de ses qualités qui en font un ouvrage non seulement de référence pour la précision et l’érudition des textes mais un livre que l’on a plaisir à posséder et à rouvrir souvent pour le seul agrément des illustrations. C’est le génie français dans son authenticité qui est concentré là, dans cette peinture « faite de silence, de gestes à l’arrêt…qui fuit le mouvement, l’expressionisme, la virtuosité du pinceau…la violence, la cruauté, la brutalité…elle se veut heureuse, unit le plaisir du beau métier à celui de l’intelligence du regard ». L’auteur évoque en outre la rêverie et la méditation qui auréolent certains tableaux. Voilà ce à quoi parvient l’art de Poussin, à représenter de la plus belle manière et à chaque fois un temps d’action et d’émotion au cours duquel grandeur et honneur, gravité et dignité, passion et religion se rejoignent et se renouvellent dans la perfection.

 

Nicolas Poussin (1594-1665), s’inspirant de récits bibliques, de textes tirés de l’histoire romaine, des Métamorphoses d’Ovide ou autres sources antiques, met en scène le moment que l’on pourrait dire le plus auguste des épisodes qu’il choisit de traiter. Tout en relatant les faits et précisant les phases de leurs déroulements, il ne déroge pas aux principes de l’unité de temps et de l’unité de lieu, invitant ainsi l’œil à ne rien perdre de l’événement dans sa totalité et à n’en rien omettre dans ses détails. Magistrale leçon de savoir-faire, extraordinaire travail de synthèse et d’indépendance, son talent de conteur lui permettant de placer La Mort de Saphire dans un des plus éblouissants paysages de pierre qui soit, ce que les Anglais appellent par opposition au landscape, le townscape, conciliation sublime du minéral et du végétal. Même démarche pour La Peste d’Asdod, pour Le Christ guérissant les aveugles de Jéricho, pour Eliézer remet les présents d’Abraham à Rebecca. Toujours se déploient de cette façon et dans un seul intervalle et une seule vision l’instant retenu où les acteurs vivent la geste et le décor qui encadrent leurs gestes. L’emploi savant et simple à la fois des perspectives attire immanquablement le regard vers ce qui compte comme vers ce qui semblerait secondaire mais en définitive ne l’est jamais chez ce maître absolu de l’éloquence des éléments et des personnages, afin d’aboutir à un « point d’harmonie » qui séduit tant, ce qu’on peut voir notamment dans L’Enlèvement des Sabines. Les audaces chromatiques et la vibration des couleurs servent enfin un propos tellement bien traité que nous sommes devant « la peinture dans toute sa noblesse ».

 

C’est, répété sans redites, neuf dans l’étonnement sans l’incommodité d’un lapsus, inédit et insolite, un identique discours de vérité esthétique, de cohérence visuelle, en somme de puissance que Poussin prononce et signe dans chacun de ces tableaux que Pierre Rosenberg, sans conteste le plus grand connaisseur de l’artiste qui soit, a côtoyés pendant des décennies quand il a été le conservateur en chef du département des Peintures du Louvre. Il transmet avec ce livre cinquante années de ferveur et de labeur. Il considère que si Poussin résume la peinture française,  il l’amplifie, la magnifie, la symbolise et la dépasse. Les tableaux qui figurent dans ce livre en apportent un à un la preuve. L’intérêt de tous n’est sans doute pas égal, mais tous méritent au moins une attention que l’examen minutieux et la description des toiles accroissent au fil de la lecture. Ils offrent la force de l’antique mêlée à la douceur des sentiments, l’héroïsme joint à la tendresse. 



Il suffit de contempler cette merveilleuse « pastorale bucolique » des Bergers d’Arcadie, les « péripéties » qui s’enchaînent sans rompre le fil de l’attention dans La Manne, ces prodigieuses quatre saisons où tout l’univers se rassemble, ce Paysage avec Diogène, alliance de la nature et la morale, Le Jugement de Salomon, profonde analyse psychologique qui partage angoisse et amour, violence et pouvoir, triomphe de l’eurythmie calculée sans que cela soit symétrie lassante. Ainsi, sans rupture, la curiosité est-elle relancée, Poussin abordant ses sujets pour en tirer jusqu’à l’extrême théâtralité, poésie, sérénité,  majesté, douceur, silence, spiritualité. Ce qui apparaît au début comme des compositions peut-être rigoureuses devient à l’observation prolongée une réalité certes parfaitement construite, une fidélité qui obéit à des règles austères mais où la liberté intervient toujours pour donner à l’œuvre finie cet achèvement indépassable, presque cette fantaisie qui est la marque de la création, ce style unique comme on peut le remarquer encore dans Le Maître d’école châtié de sa trahison ou les deux Moïse, thème que Poussin affectionnait.

 

On lit avec un vrai plaisir tant elles sont rédigées avec élégance et sans pédanterie ces pages d’une infinie richesse puisque pour tous les tableaux, la provenance, la bibliographie, les expositions, les œuvres en rapport, les catalogues raisonnés, sont mentionnés et expliqués. Rien de plus remarquable et divertissant pour entrer dans la vie de Poussin et aimer son œuvre. 

 

Dominique Vergnon

 

Pierre Rosenberg, de l’Académie française, Président-directeur honoraire du musée du Louvre, Nicolas Poussin, les tableaux du Louvre, Somogy éditions d’art-Louvre éditions, 24,6x30 cm, 400 pages, 180 illustrations, septembre 2015, 39 euros.   

 

 

 

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