Vivre l’Indochine au temps de la guerre

Nombreux sont ceux qui ont en mémoire certaines images du célèbre film La 317e Section réalisé par Pierre Schoendoerffer, magistralement joué notamment par les acteurs Jacques Perrin et Bruno Cremer ! L’impossible bataille, la mort qui fauche au hasard dans les deux camps au milieu d’une nature exubérante, l’amitié qui soude les hommes, l’angoisse incessante, la détente avant l’assaut, autant de fractions d’existences que la caméra fait revivre avec sobriété. Tourné au Cambodge, un des trois pays qui avec le Laos et le Vietnam composent alors l’Indochine, ce film relate un petit épisode mais bien révélateur d’un conflit fratricide qui a duré presque dix ans. Ce sont parmi les plus évocatrices des photos prises pendant cette période que ce livre rassemble. Témoignages vécus où affleure ce qui donne à ce genre d’ouvrage tout son poids et son intérêt à la fois historique et incontestable mais aussi affectif et émouvant. Aux scènes militaires montrant le terrible quotidien des soldats, celles qui  relatent ce qu’on pourrait appeler la vie civile ne sont pas loin de là les moins intéressantes. Il serait vain de choisir pour en rendre compte certains clichés plus que d’autres, tant tous abordent avec un regard d’authenticité ce temps d’une « guerre évanouie » selon les mots que Benjamin Stora a choisis pour ouvrir sa préface.

 

Parmi d’autres, quelques exemples permettent cependant d’évaluer ce que furent ces années qui à l’initiative du général de Lattre, vont « s’afficher » au plan médiatique. Vues originales de la société coloniale locale qui vit en marge d’évènements qui se précipitent, artistes parisiens « en mal d’exotisme » qui sont à Saigon en 1947, cadrage précis sur le pilote du Francis-Garnier, visages captés sur un marché ou pendant la saignée d’un hévéa, enfants sur le dos d’un buffle ou dans un champ de pavot, salines de Hon Khoi, marchandes coiffées du fameux chapeau conique,  fête du « retournement des eaux » du Mékong tandis qu’un croiseur est mouillé devant Phnom Penh, les ruines du Bayon, toutes ces photos, parallèlement à celles de la guerre proprement dite, racontent les intervalles de paix et la durée de l’horreur qui ont ravagé ce vaste espace, loin de la France, au sud-est du continent asiatique. Dans la mesure et le paroxysme, la proximité et la perspective, appuyant les contrastes, chacun de ces clichés offre son éloquence pour faire partager un moment particulier de l’histoire souvent oubliée de ce territoire.

 

On ne peut manquer d’être frappé par la tragique beauté de certaines épreuves prises par des photographes qui avaient fait de leur métier une passion, comme Daniel Camus et Jean Péraud. A leur sujet, on peut lire non sans saisissement ce qui est écrit sur le thème dans Le Blog des Actualités du musée de l’Armée, rapportant le travail des deux reporters du service cinématographique des armées (SCA). « Comme tous les hommes encore sur place, ils sont faits prisonniers par le Viêt-minh le 8 mai 1954, après la chute de Diên Biên Phu, puis envoyés à marche forcée vers un camp situé à 300 kilomètres. Jean Péraud - valeureux et téméraire -  est porté disparu après avoir tenté de s’enfuir. Daniel Camus est libéré au terme de trois mois d’une captivité extrêmement éprouvante ». Comme on peut le noter à la fin du livre, leurs deux noms sont associés dans le cas de plusieurs photos sans distinction d’auteurs, signe de la qualité humaine de ces photographes courageux. Avec leurs confrères Pierre Schoendoerffer, Raymond Varoqui, Jean Lugo, Verneret, René Adrien, Raoul Coutard et tous les « photographes inconnus », ils ont marqué par leur vaillance et leur art cet héritage de réalités se déroulant sous leurs yeux. Introduisant et accompagnant les six chapitres, les textes et les commentaires des photos de Hugues Tertrais, Professeur des universités, donnent un éclairage solide et très ciblé sur ce qui a été la première guerre de décolonisation.

 

Dominique Vergnon

 

Hugues Tertrais, 1945-1954, Regards sur l’Indochine, Gallimard/Ministère de la Défense, 24,5x25,5 cm, 160 pages, 150 illustrations, octobre 2015, 29 euros.

 

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